Lucy et Selam : nos ancêtres exposés 60 jours

Auteur Rozenn Allard
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C’est un événement d’une portée scientifique et symbolique immense. Les restes fossilisés de Lucy et de Selam, deux des plus célèbres hominidés jamais découverts, seront présentés au public pendant 60 jours dans le cadre de l’exposition « L’Origine de l’Homme et les Fossiles ». Une occasion rarissime d’observer face à face ces témoins d’un passé lointain qui ont fondamentalement redéfini notre compréhension des origines humaines.

Pendant des décennies, Lucy a porté le titre quasi mythique de « grand-mère de l’humanité ». Découverte en 1974 en Éthiopie par une équipe internationale comprenant le paléoanthropologue français Yves Coppens, cette Australopithecus afarensis a provoqué une onde de choc mondiale. Son squelette, complet à 40 %, a révélé une information capitale : elle marchait debout. Âgée de 3,2 millions d’années, Lucy a prouvé que la bipédie avait précédé de loin le développement d’un grand cerveau, bouleversant ainsi l’ordre des étapes que l’on imaginait pour l’évolution humaine.

Son nom, emprunté à la chanson des Beatles « Lucy in the Sky with Diamonds » qui tournait en boucle sur le campement des chercheurs, a ajouté une touche de poésie à cette découverte scientifique majeure. Haute d’à peine 1,10 mètre pour environ 29 kilogrammes, elle est morte jeune, entre 11 et 13 ans selon les estimations. Une étude récente de ses fractures suggère même une fin tragique : une chute mortelle d’un arbre, un écho poignant de la double vie, à la fois arboricole et terrestre, que menaient probablement ses congénères.

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À ses côtés dans cette exposition se trouvera Selam, surnommée « l’enfant de Dikika » ou « la fille de Lucy ». Sa découverte en 2000, également en Éthiopie, par l’équipe de Zeresenay Alemseged, a été tout aussi fondamentale. Datée de 3,3 millions d’années, Selam est le squelette d’hominidé infantile le plus complet jamais mis au jour. Morte vers l’âge de trois ans, elle nous offre une fenêtre inestimable sur la croissance et le développement des jeunes australopithèques, avec des omoplates suggérant une capacité à grimper encore bien présente.

Les coulisses d’une révolution scientifique

Si Lucy a longtemps été perçue comme notre plus vieil ancêtre direct, la science, elle, n’est jamais figée. Son statut a été remis en perspective en 1994 avec la découverte d’Ardi, une Ardipithecus ramidus âgée de 4,4 millions d’années. Cette découverte n’a pas diminué l’importance de Lucy, mais a complexifié notre vision de l’évolution. L’idée d’une ligne droite menant de l’australopithèque à l’Homo sapiens a laissé place à l’image d’un buisson foisonnant, avec de multiples branches et des espèces qui ont coexisté avant de s’éteindre.

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Cette exposition est donc bien plus qu’une simple présentation d’ossements. Elle raconte l’histoire d’une science en perpétuel mouvement, où chaque nouvelle découverte oblige à réévaluer les certitudes. Elle met en lumière le rôle central de la vallée du Grand Rift, en Afrique de l’Est et particulièrement en Éthiopie, comme véritable berceau de l’humanité. C’est la tectonique des plaques, en créant cette immense faille, qui a favorisé des conditions idéales pour la fossilisation et permis à ces précieux témoignages de nous parvenir.

Le prêt de ces fossiles, considérés comme des trésors nationaux inestimables par l’Éthiopie, relève également de la « paléo-diplomatie ». C’est un geste de confiance et d’ouverture qui souligne l’universalité de ce patrimoine. Pour le pays hôte, c’est l’opportunité d’offrir à ses citoyens un contact direct avec les origines de notre lignée, un rappel puissant de nos racines africaines communes. Derrière la vitrine, ce sont des décennies de négociations, de collaborations scientifiques internationales et d’enjeux politiques qui se dessinent.

Voir Lucy et Selam réunies, c’est donc observer une mère symbolique et son enfant, séparés par 100 000 ans mais unis par une même espèce et un même destin. C’est comprendre comment nous nous sommes redressés sur nos deux jambes pour arpenter la savane, libérant nos mains pour ce qui allait suivre : l’outil, l’art, la culture. L’exposition ne répond pas à toutes les questions, bien au contraire. Comment ces hominidés communiquaient-ils ? Quelle était la complexité de leur structure sociale ? De nombreuses énigmes demeurent, faisant de chaque fossile non pas une fin en soi, mais le début d’une nouvelle enquête sur ce que signifie être humain.

Rozenn Allard

Rozenn Allard est une journaliste indépendante spécialisée dans l'enquête sur les mouvements d'extrême droite et les questions de société. Elle a notamment collaboré avec le média d'investigation Mediapart. Son travail se caractérise par une approche de terrain rigoureuse et une analyse en profondeur des idéologies contemporaines.