Les coulisses des nominations : pourquoi votre film préféré est parfois snobé

La déception de Bradley Cooper face aux Oscars 2019 révèle un parcours artistique poignant. Que signifie vraiment la reconnaissance ?

Auteur Laurine Benoit

Vous vous souvenez de ce drame musical qui a cartonné il y a quelques années ? Celui avec l’acteur star qui passait pour la première fois derrière la caméra et dirigeait une icône de la pop ? Tout le monde en parlait, le public a adoré, la bande originale a tourné en boucle partout. On s’attendait tous à une avalanche de nominations pour la grande cérémonie américaine.

Et puis, le matin de l’annonce… surprise. Le nom de l’acteur-réalisateur n’apparaît pas dans la catégorie « Meilleure Réalisation ». Grosse déception. Plus tard, il a même confié s’être senti « gêné », comme s’il avait déçu ses collègues. Honnêtement, cette anecdote est parfaite pour décortiquer la machine complexe et un peu opaque des récompenses de cinéma. Ce n’est pas juste une question de qui a fait le meilleur film. C’est un mélange de politique, de perception et de règles du jeu bien précises.

Alors, plongeons dans les coulisses. Oublions le tapis rouge et parlons de ce qui se passe vraiment. Ce n’est pas une critique du film, mais plutôt une leçon fascinante sur le fonctionnement de cette industrie.

affiche du film a star is born avec Lady Gaga et Bradley Cooper qui est embarrassé de ne pas être nominé comme meilleur réalisateur aux oscars 2019

Qui vote, au juste ? Le secret du club des réalisateurs

Pour comprendre une nomination, il faut savoir qui tient le stylo. L’Académie qui décerne les célèbres statuettes dorées n’est pas un bloc monolithique. Elle est divisée en branches par métier : acteurs, scénaristes, monteurs… et bien sûr, réalisateurs.

Et c’est là que ça devient intéressant. Pour la catégorie du Meilleur Réalisateur, seuls les membres de la branche des réalisateurs peuvent voter pour désigner les cinq finalistes. On parle d’un groupe assez restreint, environ 500 à 600 professionnels du monde entier. C’est un club sélect, rempli de cinéastes confirmés qui ont une très haute opinion de leur art. Ils ne cherchent pas seulement un film efficace ; ils traquent une « mise en scène » audacieuse, une signature, une vision qui les bluffe.

Le fameux vote préférentiel : un casse-tête décisif

Le système de vote lui-même est crucial. Les votants ne choisissent pas un seul nom, ils classent leurs favoris. C’est ce qu’on appelle le vote préférentiel. Imaginez : il vaut mieux être le choix N°1 d’un petit groupe passionné que d’être le choix N°4 ou N°5 de tout le monde.

Bradley Cooper en interviews avec Oprah Xinfrey avoue être embarrassé de ne pas être nominé aux oscars 2019 dans la catégorie meilleur réalisateur pour A Star Is Born

Petit exemple pour y voir plus clair : disons qu’il y a 100 votants. Le Film A est classé N°1 par 30 réalisateurs. Le Film B, très apprécié, est le N°2 ou N°3 de 80 votants, mais le N°1 de personne. Eh bien, le Film A, avec son noyau de fans hardcore, a de bien meilleures chances de l’emporter. Un film populaire peut donc être largement aimé, mais si les réalisateurs ne le considèrent pas comme LE meilleur travail de l’année, il n’aura pas assez de votes N°1 pour passer.

La campagne : plus qu’un bon film, une bonne histoire

Penser qu’un film exceptionnel se nomine tout seul est une douce utopie. Les studios investissent des fortunes dans ce qu’on appelle les campagnes « Pour Votre Considération ». C’est du marketing pur et dur, mais ultra-ciblé.

Une bonne campagne crée un « récit ». Pour notre acteur-réalisateur, le récit était parfait pour le grand public : la star qui prend tous les risques pour un projet passionné. Mais attention, pour le club des réalisateurs, ce récit peut être un handicap. Ils risquent d’y voir une histoire d’acteur avant tout, pas une histoire de mise en scène. Un film d’auteur en noir et blanc, racontant l’histoire d’un maître technicien qui recrée son enfance avec une virtuosité folle, aura un récit bien plus puissant auprès de ce public d’experts.

photo Bradley Cooper et lady gaga partenaires dans le film A Star Is Born pour lequel l'acteur n'est pas nominé comme Meilleur Réalisateur

Et le coût de tout ça ? Franchement, c’est ahurissant. Comptez entre 5 et 20 millions de dollars pour une campagne sérieuse ! Cet argent part en pages de pub dans les magazines spécialisés, en projections privées très chics pour les votants, et en soirées où les bonnes personnes peuvent discuter du film…

Face à la compétition : un jeu de comparaisons

Un film n’est jamais jugé dans le vide. Pour comprendre l’absence de notre drame musical, il faut regarder qui était en face cette année-là. Et il y avait du lourd :

  • Le maître technicien : Un film d’auteur en noir et blanc, visuellement époustouflant, où chaque plan était un tableau. Le genre de démonstration de force que les réalisateurs adorent.
  • Le vétéran engagé : Une figure majeure du cinéma, enfin reconnue pour un film percutant et stylisé. C’était sa « nomination carrière ».
  • Les deux européens pointus : L’un avec un style visuel d’une précision chirurgicale, l’autre avec un univers baroque et complètement décalé. Deux propositions de cinéma fortes et uniques.
  • L’innovateur politique : Un réalisateur venu de la comédie, qui s’attaquait à un sujet politique complexe avec un montage frénétique et une énergie folle.

Face à ce panel, la réalisation du drame musical, bien que très maîtrisée, paraissait plus… classique. Efficace, au service de l’histoire et des acteurs, mais moins visible, moins « auteurisante ». Et les réalisateurs ont tendance à récompenser une mise en scène qui se voit.

illustration oscars 2019 pour article sur Bradley Cooper non nominé aux oscars 2019 comme Meilleur Réalisateur pour A Star Is Born

D’ailleurs, il existe un vrai « syndrome de l’acteur-réalisateur ». Les pairs sont souvent un peu sceptiques au début. Ce n’est pas un cas isolé, loin de là. On a vu le même phénomène des années plus tôt avec une célèbre actrice et chanteuse, qui avait réalisé un drame romantique acclamé mais fut boudée par la branche des réalisateurs.

Et ailleurs dans le monde, ça donne quoi ?

Pour relativiser, il faut regarder les autres cérémonies. Aux récompenses britanniques, par exemple, notre acteur-réalisateur a bel et bien été nominé ! La liste était quasiment la même que celle de la grande cérémonie américaine, à une personne près. La preuve que tout se joue parfois à une poignée de voix et que les sensibilités varient légèrement d’un groupe de votants à l’autre.

En France, un drame hollywoodien de ce type n’aurait eu aucune chance dans la catégorie réalisation face aux cinéastes nationaux. Chaque pays, chaque cérémonie a sa propre culture. C’est un rappel utile : ces prix ne sont qu’une opinion parmi d’autres.

Conseils et leçons à retenir de cette histoire

Au-delà de l’analyse, il y a l’aspect humain. La déception est réelle, et pas seulement pour l’ego. Une nomination pour un réalisateur, c’est concret : ça facilite le financement du prochain film et ça permet de négocier un meilleur salaire. C’est une validation qui ouvre des portes.

Mais attention ! Le vrai danger, c’est de commencer à faire des films « pour les prix ». On peut y perdre son âme d’artiste. Des maîtres absolus du cinéma n’ont jamais gagné la statuette du meilleur réalisateur, et pourtant leur place dans l’histoire est immense.

Petit conseil pour le cinéphile : comment flairer un favori des réalisateurs ?

  1. Le buzz des festivals : Un film qui fait grand bruit dans les grands festivals d’automne est souvent bien parti.
  2. La mise en scène se « voit »-elle ? Est-ce que le style visuel est unique, audacieux ? Utilisation de la caméra, du son, du montage… Si ça sort de l’ordinaire, c’est un bon signe.
  3. Le récit du réalisateur : Est-ce un maître qui tente un coup de génie ? Un artiste qui prend un risque fou ? Ce « storytelling » compte énormément.

Au final, la non-nomination de cet acteur-réalisateur n’était pas une injustice, mais le résultat logique d’un système. C’est la rencontre entre un film populaire et un jury d’experts aux critères très pointus. Le véritable succès de ce film, ce n’est pas une statuette, mais les millions de gens qu’il a touchés. Et ça, franchement, aucune cérémonie de remise de prix ne pourra jamais l’enlever.

Inspirations et idées

Le coût d’une campagne pour l’Oscar du Meilleur Film peut atteindre jusqu’à 20 millions de dollars.

Cette somme ne paie pas les votants, mais finance un marketing d’influence ultra-ciblé. Elle couvre les publicités pleine page dans les magazines spécialisés comme Variety, l’organisation de soirées privées et de projections avec Q&R à Los Angeles et New York, et les honoraires des consultants en relations publiques, véritables stratèges de l’ombre qui façonnent la perception d’un film des mois à l’avance.

Golden Globes : Votés par moins de 100 journalistes de la presse étrangère, ils sont réputés pour leur ambiance festive et leur penchant pour les stars. Une victoire ici donne de la visibilité, mais n’est pas toujours un indicateur fiable.

SAG Awards : Décernés par le syndicat des acteurs (plus de 160 000 membres), ils sont le baromètre le plus précis pour les catégories d’interprétation aux Oscars. Gagner ici place un acteur en position de favori quasi incontestable.

Le verdict ? Pour un acteur, un SAG Award a plus de poids dans la course à l’Oscar qu’un Golden Globe.

Une Palme d’Or à Cannes ou un Lion d’Or à Venise garantit-il le succès aux Oscars ?

Pas automatiquement. Si ces prix prestigieux offrent une visibilité immense et un sceau de qualité artistique, ils ne séduisent pas toujours les goûts de l’Académie américaine. Le succès de films comme Parasite de Bong Joon-ho ou Anatomie d’une chute de Justine Triet montre que le pont entre l’Europe et Hollywood est de plus en plus solide, mais de nombreux lauréats cannois ou vénitiens restent ignorés, surtout dans les catégories majeures comme Meilleur Film.

  • Mettre en avant un récit humain fort (le come-back, l’exploit physique, le rôle d’une vie).
  • Organiser des ‘tastemaker screenings’, des projections intimes pour des influenceurs et votants clés.
  • Assurer une présence constante aux tables rondes et interviews de la presse spécialisée.
  • Envoyer des ‘screeners’ (liens de visionnage) très tôt pour s’assurer que le film soit vu.

Le secret ? La répétition. Marteler le nom du film et de ses artistes jusqu’à ce qu’ils deviennent une évidence pour les votants.

Alfred Hitchcock, le maître du suspense, a été nominé cinq fois pour l’Oscar du Meilleur Réalisateur pour des films comme Psychose et Fenêtre sur cour. Il ne l’a jamais remporté.

Les studios indépendants comme A24 ont révolutionné la course aux Oscars, souvent avec des budgets de campagne bien inférieurs à ceux des géants hollywoodiens. Leur approche est plus chirurgicale et créative.

  • Campagnes virales et mèmes sur les réseaux sociaux (la « googly eye » pour Everything Everywhere All at Once).
  • Partenariats avec des marques tendances pour des produits dérivés désirables.
  • Mise en avant de l’originalité et de la vision d’auteur comme principal argument.

Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des cercles de critiques. Les prix décernés en décembre par des associations comme la Los Angeles Film Critics Association (LAFCA) ou le New York Film Critics Circle (NYFCC) sont cruciaux. Ils créent une première vague de reconnaissance et peuvent placer un film inattendu ou un acteur moins connu sur le radar des membres de l’Académie, transformant un outsider en concurrent sérieux.

L’erreur fatale : la campagne négative. Tenter de discréditer un concurrent est la règle la plus taboue de la saison des prix. Bien que cela se produise de manière anonyme via des rumeurs, si un studio est publiquement pris en train de dénigrer un film rival, le retour de bâton est immédiat et violent de la part des votants, qui voient cela comme un manque de fair-play.

  • Une couverture médiatique massive et souvent positive.
  • Une vague de soutien et de sympathie de la part du public.
  • Construit une narration de ‘victime du système’ pour l’artiste.

Parfois, le bruit médiatique généré par un ‘snob’ peut être plus bénéfique pour une carrière sur le long terme qu’une simple nomination.

Le récit est plus important que le film : C’est la dure loi de la course aux Oscars. Les votants sont souvent plus touchés par une belle histoire que par la pure technique cinématographique. La persévérance de Leonardo DiCaprio, qui a finalement gagné pour The Revenant après de multiples nominations, est devenue un arc narratif si puissant qu’il était presque impossible de ne pas voter pour lui. Sa victoire était l’aboutissement d’une histoire que tout Hollywood voulait voir se conclure.

Laurine Benoit

Designer d'Intérieur & Consultante en Art de Vivre
Domaines de prédilection : Aménagement intérieur, Éco-conception, Tendances mode
Après des années passées à transformer des espaces de vie, Laurine a développé une approche unique qui marie esthétique et fonctionnalité. Elle puise son inspiration dans ses voyages à travers l'Europe, où elle découvre sans cesse de nouvelles tendances et techniques. Passionnée par les matériaux durables, elle teste personnellement chaque solution qu'elle recommande. Entre deux projets de rénovation, vous la trouverez probablement en train de chiner dans les brocantes ou d'expérimenter de nouvelles palettes de couleurs dans son atelier parisien.