Un lac entier disparaît en une nuit au Canada

Auteur Léa Bertrand
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C’est un paysage à la fois fascinant et terrifiant. Là où s’étendait hier encore le Lac Rouge, dans la province de Québec, ne subsiste aujourd’hui qu’une vaste étendue de boue couleur ocre, une cicatrice béante dans la forêt boréale. En mai dernier, les habitants de la région et la communauté crie de Waswanipi ont assisté, impuissants, à la disparition quasi instantanée d’un lac de 1,4 kilomètre carré. En moins de 24 heures, une ressource naturelle, économique et culturelle vitale s’est littéralement vidée.

L’événement, documenté de manière spectaculaire par les satellites Landsat 9 de l’Observatoire de la Terre de la NASA, montre une transformation radicale entre le 29 avril et le 14 mai 2025. Les images satellites révèlent une tache bleu-vert vibrante qui se mue en une plaine brune et déserte. Le mécanisme initial semble simple en apparence : l’effondrement d’une route en bordure du lac a été le premier signe visible. Mais ce n’était que le symptôme d’un bouleversement géologique bien plus profond. Le fond du lac s’est affaissé, créant une nouvelle voie d’évacuation souterraine. Les eaux se sont alors précipitées dans ce nouveau chenal, se déversant dans une série de plus petits lacs et ruisseaux pour finalement rejoindre le Lac Dodah, à une dizaine de kilomètres de là.

À la recherche des causes : un faisceau d’indices complexes

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Pour les scientifiques dépêchés sur place, l’enquête s’apparente à une véritable autopsie géologique. Si le drainage catastrophique est le « comment », le « pourquoi » reste un puzzle complexe. Plusieurs hypothèses, probablement interconnectées, sont sur la table. La région, comme une grande partie du Canada, a subi des incendies de forêt d’une intensité record en 2019 et 2023. Ces mégafeux n’ont pas seulement détruit la végétation en surface ; ils ont profondément altéré la structure même du sol.

En consumant la couche d’humus et les systèmes racinaires qui agissaient comme une armature naturelle, les flammes ont rendu le sol instable. De plus, la chaleur intense peut créer une couche de sol dite « hydrophobe », qui repousse l’eau au lieu de l’absorber. Ce phénomène augmente considérablement le ruissellement de surface et la pression exercée sur les points faibles du terrain. Un sol fragilisé, incapable d’absorber l’eau, devient vulnérable au moindre choc.

Le choc est justement venu du ciel. Le printemps 2025 a été marqué par une fonte des neiges exceptionnellement rapide, suivie de pluies diluviennes. Ce cocktail météorologique a surchargé le bassin versant du Lac Rouge, augmentant la pression de l’eau à un niveau que le sol fragilisé n’a pu supporter. C’est la confluence de ces facteurs — un terrain affaibli par le feu et une charge d’eau extrême — qui aurait provoqué la rupture fatale.

Mais une autre piste, plus insidieuse, est également étudiée et relie cet événement local à une crise planétaire : la fonte du pergélisol. Le sous-sol de ces latitudes nordiques est en partie constitué de terres gelées en permanence. Le réchauffement climatique entraîne un dégel progressif de ce ciment naturel. Lorsque la glace contenue dans le sol fond, elle laisse des vides, provoquant des affaissements de terrain soudains, un phénomène que les scientifiques nomment « thermokarst ». La disparition du Lac Rouge pourrait être l’une des manifestations les plus spectaculaires de ce processus en cours dans tout l’Arctique et les régions subarctiques.

Un écosystème et une culture anéantis

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Au-delà de l’énigme scientifique, la disparition du lac est une tragédie humaine et écologique. Pour la Nation crie de Waswanipi, le Lac Rouge n’était pas juste une étendue d’eau. C’était un territoire ancestral, un garde-manger, un lieu de transmission culturelle. Depuis des générations, ses rives et ses eaux offraient des zones de chasse à l’orignal et de pêche, notamment à l’esturgeon, une espèce à haute valeur patrimoniale. « C’est une partie de notre identité qui a été effacée de la carte », confiait un aîné de la communauté, soulignant la perte irremplaçable pour les jeunes générations.

L’impact sur la faune est tout aussi dévastateur. Le drainage soudain a piégé des milliers de poissons et d’organismes aquatiques dans la boue. L’afflux massif de sédiments dans le Lac Dodah, en aval, risque de perturber gravement cet autre écosystème, en étouffant les frayères et en modifiant la chimie de l’eau. C’est un effet domino dont les écologistes commencent à peine à mesurer l’ampleur. La perte de ce point d’eau vital affectera également les populations d’élans, d’ours et d’oiseaux migrateurs qui dépendaient du lac.

Ce drame québécois n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une tendance mondiale inquiétante où des paysages considérés comme immuables se révèlent d’une extrême fragilité face aux pressions climatiques. Des événements similaires ont été observés en Sibérie, en Alaska et dans d’autres régions du Grand Nord, agissant comme des signaux d’alarme. Ils nous rappellent que les conséquences du changement climatique ne sont pas seulement graduelles, comme la hausse du niveau des mers, mais peuvent aussi être brutales, soudaines et irréversibles. La cicatrice laissée par le Lac Rouge est désormais un symbole puissant de la vulnérabilité de nos écosystèmes et de l’urgence à comprendre et à agir face à un monde en pleine mutation.

Léa Bertrand

Jardinière Passionnée & Cuisinière du Potager
Ses terrains de jeu : Potager bio, Culture en pots, Recettes du jardin
Léa a découvert sa vocation en cultivant son premier potager sur un balcon de 4m². Depuis, elle n'a cessé d'expérimenter et de partager ses découvertes. Issue d'une famille de maraîchers bretons, elle a modernisé les techniques traditionnelles pour les adapter à la vie urbaine. Sa plus grande fierté ? Réussir à faire pousser des tomates sur les toits de Lyon ! Quand elle n'a pas les mains dans la terre, elle concocte des recettes avec ses récoltes ou anime des ateliers de jardinage dans les écoles de son quartier.