Dans les coulisses du cinéma : pourquoi un super film peut faire un flop monumental

Un casting cinq étoiles ne suffit pas toujours à sauver un film du naufrage. Découvrez pourquoi « Serenity » est devenu un flop.

Auteur Laurine Benoit

J’ai vu défiler des centaines de films sur mon bureau. Des scénarios brillants qui n’ont jamais trouvé de financement, et des petits projets sans prétention devenus des cartons surprise. Le cinéma, ce n’est pas juste de l’art, c’est une machine complexe et, franchement, parfois un peu brutale.

Le public voit les acteurs, les affiches, les bandes-annonces… Mais derrière le rideau, c’est une autre histoire. Une bataille de chiffres, de stratégies et de survie. Il y a quelques temps, un thriller psychologique à gros budget, avec un casting cinq étoiles, s’est complètement planté. C’est un cas d’école parfait. On y retrouve tous les ingrédients d’un échec annoncé : un concept audacieux mais déroutant, des attentes démesurées et une confiance brisée entre les créateurs et ceux qui devaient vendre le film. Au lieu d’y voir un simple potin de l’industrie, voyons ça comme une leçon précieuse sur les rouages de notre métier.

illustration de McConaughey dans le film serenity 2019 au succès plus que mitigé

1. Le boulot du distributeur, c’est quoi au juste ?

La plupart des gens pensent qu’un distributeur se contente de « mettre le film au cinéma ». Si seulement c’était si simple ! Notre travail commence bien avant la première projection. On est les premiers spectateurs critiques d’un film, et notre prisme est celui du potentiel commercial.

La question n’est pas seulement « est-ce que le film est bon ? », mais plutôt « pour QUI est-il bon ? ». Quel public va payer pour le voir ? Des ados ? Des familles ? Des amateurs de films d’auteur pointus ? C’est LA première question, et tout le reste en découle.

Ensuite, on monte un plan de bataille. Le cœur du réacteur, c’est le fameux budget « P&A », pour Prints & Advertising (Copies et Publicité). Les « prints », ce sont les copies numériques envoyées aux cinémas. Mais l’énorme majorité du budget, c’est la pub. Une règle tacite dans l’industrie, surtout aux États-Unis, veut que le budget P&A représente au moins 50% du budget de production. Pour un film qui a coûté 25 millions de dollars, comme notre thriller en question, il faudrait idéalement mettre 12 à 15 millions de plus sur la table rien que pour le marketing d’un lancement large.

affiche du film serenity de steve knight avec Matthew McConaughey et Anne Hathaway qui connait un véritable flop

Attention, en France, les ordres de grandeur sont différents. Pour un film français indépendant au budget moyen, un distributeur va plutôt investir entre 200 000€ et 800 000€ en frais de sortie. Ça reste une somme colossale qu’il ne faut pas jeter par les fenêtres.

Et c’est là que ça devient sportif. La sortie d’un film, c’est une question de momentum. Le premier week-end est absolument capital, il dicte toute la suite. Un bon démarrage assure une couverture médiatique positive et incite les salles à garder votre film à l’affiche. Un mauvais démarrage ? Vous êtes remplacé la semaine suivante. On parle de « chute » (drop-off). Une chute de 50% de fréquentation en deuxième semaine est normale. Une chute de 70%, c’est la catastrophe. Tout l’investissement publicitaire se concentre donc sur la semaine précédant la sortie pour créer une vague d’envie.

2. Vendre un film : entre séduction et trahison

Quand on reçoit un film, on cherche le « hook », l’hameçon. Pour notre thriller, l’hameçon était en or massif : deux stars planétaires, réunies après un énorme succès de science-fiction, dans une ambiance de polar sexy et sombre. Le problème ? Ce n’était que la moitié de la vérité.

photo de Matthew McConaughey pêcheur de thon dans le film serenity en confilt avec la société aviron

Le film cachait un retournement de situation si radical qu’il changeait complètement de genre à mi-parcours. C’est le cauchemar du marketing. Si vous le révélez dans la bande-annonce, vous gâchez la surprise et l’intérêt du film. Si vous le cachez, le public a l’impression d’avoir été floué. Votre bande-annonce a vendu un film, mais la salle en projette un autre. Et ça, les gens détestent.

Pour éviter ce genre de mauvaise surprise, on utilise les projections test. On montre le film des mois à l’avance à un public cible qui remplit des questionnaires très détaillés. Les retours pour ce film ont été, semble-t-il, désastreux. Le public n’a pas adhéré au twist, se sentant trahi. Un score public catastrophique le soir de la sortie a confirmé ce rejet massif. C’est un verdict quasi sans appel.

D’ailleurs, vous vous êtes déjà demandé où va votre argent quand vous achetez un billet de cinéma ? C’est essentiel pour comprendre les enjeux. Sur un ticket à, disons, 12€ :

Affiche du film A Private War Aviron Pictures avec rosamund pike basé sur une histoire vraie
  • Environ la moitié (6€) va à l’exploitant de la salle de cinéma.
  • Le reste est partagé entre le distributeur (qui touche environ 2,50€ pour couvrir ses frais P&A et sa marge) et le producteur (qui récupère les 3,50€ restants pour rembourser le coût de fabrication du film).

On comprend mieux pourquoi un distributeur sue à grosses gouttes avant de dépenser des millions en pub s’il sait qu’il ne récupèrera que 2 ou 3 euros par spectateur ! C’est ce qu’on appelle « ne pas jeter le bon argent après le mauvais ». Pour les acteurs et le réalisateur, c’est une trahison. Pour le distributeur, c’est de la gestion de risque. C’est la tension au cœur de notre métier.

3. L’approche US vs l’approche française : deux mondes

Le fait que ce thriller n’ait même pas eu de date de sortie fixée en France au moment de son naufrage américain est très révélateur. Franchement, le marché français et le marché américain, c’est le jour et la nuit. Aux États-Unis, un film vit ou meurt en un week-end. C’est une stratégie de sprint, brutale : si tu ne performes pas, tu es éjecté des salles la semaine suivante. La puissance du marketing de masse y est reine.

En France, on est plutôt sur une course de fond. Le bouche-à-oreille a plus de temps pour s’installer. Un film peut rester à l’affiche plus longtemps, même avec un démarrage modeste, surtout s’il est soutenu par la critique presse, qui a encore un poids considérable chez nous. Grâce à des mécanismes comme le soutien du CNC (Centre National du Cinéma) et la chronologie des médias, on protège une certaine diversité et on donne leur chance à des films plus audacieux.

Un distributeur français aurait sûrement abordé ce film différemment. Au lieu d’une sortie nationale vouée à l’échec, il aurait pu opter pour une sortie plus limitée, dans un réseau de salles d’art et d’essai. La campagne aurait mis en avant le pedigree du réalisateur (connu pour ses scénarios de polars sombres et acclamés) et le côté étrange et unique du projet. On aurait vendu l’audace plutôt que le glamour des stars. L’angle « thriller sexy sur un bateau » est très américain ; en France, celui du drame existentiel et de la folie aurait peut-être mieux fonctionné, mais à une échelle bien plus modeste.

4. Que faire face à un film « maudit » ?

Quand tous les signaux sont au rouge, quelles sont les options ? Aucune n’est parfaite, mais il faut choisir le moindre mal.

Option 1 : Le remontage.
Résumé : On retourne en salle de montage pour tenter de sauver les meubles.
Parfois, changer quelques scènes ou clarifier un point peut améliorer un film. Mais c’est coûteux, et ça dépend de la coopération du réalisateur. Dans le cas de notre thriller, le problème était le concept lui-même. Aucun montage n’aurait pu changer le twist qui divisait le public.

Option 2 : Repositionner le marketing.
Résumé : On change l’affiche, la bande-annonce, et on raconte une autre histoire.
C’est la solution la plus courante. On aurait pu vendre le film comme une œuvre d’auteur un peu folle. Imaginons deux stratégies : pour les salles, une bande-annonce expérimentale, ciblant les cinéphiles curieux. Pour une plateforme de streaming, on aurait pu au contraire tout miser sur les stars et le côté sexy, en espérant que l’algorithme fasse le reste.

Option 3 : Vendre le film à une plateforme.
Résumé : On limite la casse en vendant directement à un géant du streaming.
C’est une solution de plus en plus populaire. Si vous savez que vous allez perdre des millions en salles, vous pouvez vendre les droits à une grosse plateforme. Ils sont toujours en quête de contenus exclusifs avec de grands noms. Vous ne gagnez peut-être pas d’argent, mais vous couvrez vos frais et évitez l’humiliation d’un box-office désastreux.

Option 4 : La sortie limitée et la gestion des pertes.
Résumé : On sort le film comme prévu, mais en dépensant le strict minimum.
C’est ce que le distributeur a choisi de faire. Il a respecté son obligation contractuelle de sortir le film, mais en réduisant drastiquement les dépenses pour limiter les dégâts financiers. C’est une décision purement économique qui met en rage les talents, qui voient leur travail sacrifié. Mais un distributeur a une responsabilité envers ses investisseurs. Parfois, ça implique des décisions qui semblent cruelles d’un point de vue artistique.

5. Petit guide de survie pour les cinéastes

Si vous êtes un jeune créateur ou une jeune créatrice, ces histoires peuvent faire peur. Mais on peut en tirer des leçons. Avant même d’aller voir un distributeur, voici une petite checklist pour mettre toutes les chances de votre côté :

  • Connaissez votre public sur le bout des doigts. Pour qui est votre film ? Et surtout, ne répondez jamais « pour tout le monde ». Soyez précis.
  • Ayez un « hook » clair. En une seule phrase, pourquoi quelqu’un devrait absolument voir votre film ? C’est votre argument de vente.
  • Préparez des « comparables ». Quels films récents ressemblent au vôtre en termes de genre, de budget et de public ? Comment ont-ils marché ? Ça montre que vous avez fait vos devoirs.
  • Soyez lucide sur vos atouts marketing. Avez-vous un acteur un peu connu ? Un concept qui peut devenir viral ? Une sélection dans un festival prestigieux ? Mettez-les en avant.
  • Pensez au-delà de la salle. Votre film pourrait-il mieux fonctionner en VOD, sur une plateforme de streaming ou même à la télévision ? Montrer que vous avez envisagé toutes les options prouve votre professionnalisme.

Pour finir…

Ce genre de fiasco touche à un sujet tabou : le projet de vanité, quand un artiste est si passionné par une idée que personne n’ose lui dire la vérité, à savoir que le projet est commercialement invendable. Le rôle du distributeur est d’être cet adulte objectif dans la pièce.

Mais la leçon principale, c’est celle de la transparence. La discussion aurait dû être : « Les tests sont mauvais. Le film ne fonctionne pas pour le public. Voici nos options. Travaillons ensemble pour trouver la moins mauvaise solution. » Souvent, l’ego et la peur empêchent ce dialogue honnête.

Un film est une œuvre collective, non seulement dans sa création, mais aussi dans sa mise sur le marché. Quand cette collaboration se brise, même les plus grandes stars du monde ne peuvent empêcher le navire de couler.

Pour aller plus loin : Si le sujet vous passionne, je vous conseille de garder un œil sur des sites comme Box Office Mojo pour décortiquer les chiffres (même si c’est très orienté US). En France, le site du CNC est une mine d’informations pour comprendre les aides et le fonctionnement de notre écosystème. Et si vous aimez lire, cherchez des livres sur l’économie du cinéma ; vous en trouverez d’excellents en librairie ou en ligne qui décrivent ces mécanismes en détail.

Inspirations et idées

Selon une étude de l’USC, une différence de 20 points sur l’agrégateur d’avis Rotten Tomatoes peut influencer les revenus d’un film de près de 10 millions de dollars lors de son premier week-end.

Loin d’être un simple guide, ce score est devenu un indicateur quasi-instantané pour le grand public. Un score

Sortie large (Wide Release) : C’est la stratégie du K.O. Le film est lancé sur plus de 3000 écrans simultanément, soutenu par un budget publicitaire colossal. L’objectif est de maximiser les recettes dès le premier week-end. Idéal pour un blockbuster Marvel.

Sortie limitée (Platform Release) : Le film sort dans une poignée de salles à New York et Los Angeles. L’idée est de créer un bouche-à-oreille positif et de laisser les critiques élogieuses construire sa réputation avant d’étendre la diffusion. Typique des films d’auteur visant les Oscars.

  • Budget de production ultra-serré (souvent moins de 5 millions de dollars).
  • Concept fort et facile à pitcher (

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    Parce que le studio et le distributeur ont une peur panique : que le public ne comprenne pas le

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    En 2024, le coût moyen pour un spot publicitaire de 30 secondes pendant le Super Bowl a atteint 7 millions de dollars.

    Parfois, un échec commercial n’est que le début d’une longue et belle histoire. Certains films, boudés par le public à leur sortie, ont trouvé une seconde vie en vidéo ou en streaming, devenant des œuvres cultes.

    • Blade Runner (1982) : Flop à sa sortie, aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre absolu de la science-fiction.
    • Fight Club (1999) : A divisé la critique et sous-performé au box-office avant de devenir un film générationnel.

    Le chiffre qui obsède Hollywood : celui du premier week-end. Ces trois premiers jours sont un indicateur impitoyable de la carrière d’un film. Un démarrage en trombe assure une couverture médiatique positive et incite les exploitants de salles à maintenir le film à l’affiche. Un démarrage faible peut signer son arrêt de mort, entraînant une réduction drastique du nombre d’écrans dès la deuxième semaine.

    La projection-test est l’épreuve du feu, redoutée par les cinéastes. Un public lambda est recruté pour voir une version non finalisée du film. Leurs réactions sont scrutées, leurs avis recueillis via des questionnaires détaillés. C’est sur la base de ces retours que des studios comme Warner Bros. ou Paramount peuvent imposer de retourner des scènes, de simplifier l’intrigue ou de changer radicalement la fin pour s’assurer de plaire au plus grand nombre. C’est souvent là que la vision de l’artiste se heurte à la réalité du marché.

    • Une date de sortie face à un concurrent géant (un film d’auteur face à un Marvel).
    • Une campagne marketing qui vise le mauvais public.
    • Une bande-annonce qui trahit le ton réel du film.
    • Un bouche-à-oreille négatif qui se propage sur les réseaux sociaux avant même la sortie.
    • Un conflit public entre le réalisateur et le studio.
Laurine Benoit

Designer d'Intérieur & Consultante en Art de Vivre
Domaines de prédilection : Aménagement intérieur, Éco-conception, Tendances mode
Après des années passées à transformer des espaces de vie, Laurine a développé une approche unique qui marie esthétique et fonctionnalité. Elle puise son inspiration dans ses voyages à travers l'Europe, où elle découvre sans cesse de nouvelles tendances et techniques. Passionnée par les matériaux durables, elle teste personnellement chaque solution qu'elle recommande. Entre deux projets de rénovation, vous la trouverez probablement en train de chiner dans les brocantes ou d'expérimenter de nouvelles palettes de couleurs dans son atelier parisien.