L’Art du Son ‘French Touch’ : Les Secrets d’un Producteur de Légende

Un géant de la musique électronique s’est éteint. Découvrez l’héritage de Philippe Zdar, l’âme créatrice derrière Cassius.

Auteur Laurine Benoit

Parfois, une nouvelle tombe et tout s’arrête. Brutale, absurde. Quand un des artisans majeurs de la scène électronique française a disparu il y a quelque temps, le choc a été immense. Pour le grand public, c’était la moitié d’un duo emblématique qui s’en allait. Mais pour nous, les passionnés de son, les gens qui vivent dans les studios, c’était la perte d’un confrère, d’un véritable architecte sonore dont l’influence a façonné une bonne partie de notre métier.

Franchement, on ne peut pas parler du son « French Touch » sans évoquer son approche. Pas juste le musicien, mais l’ingénieur, le sorcier derrière la console qui sculptait la matière sonore avec une passion qu’on pouvait presque toucher.

J’ai passé une bonne partie de ma vie le nez dans les consoles de mixage, à sentir l’odeur de l’électronique qui chauffe et à apprécier le silence si particulier d’une cabine bien traitée. C’est depuis cet univers que je veux vous parler de son héritage. Non pas pour faire une biographie, mais pour décortiquer sa technique et vous donner des clés pour comprendre (et peut-être même reproduire) une partie de sa magie.

photo noir et blanc de Philippe Cerboneschi alias Zdar de Cassius, décédé d une chute accidentelle

1. Les Fondations : L’École de la Pratique

Avant de devenir une figure de proue, il a commencé comme beaucoup d’entre nous : tout en bas de l’échelle, en tant qu’assistant dans un grand studio parisien. C’est une école irremplaçable, honnêtement. On y apprend le métier en observant, en branchant des dizaines de micros, en enroulant des kilomètres de câbles. Surtout, on apprend à écouter. On regarde les pros placer un micro, tordre le son avec un compresseur et on essaie de comprendre pourquoi.

C’est dans ce contexte qu’il a commencé à travailler avec son futur partenaire. Leur première collaboration marquante fut pour un jeune rappeur qui allait devenir une star. À l’époque, le rap français cherchait encore sa propre voix, son propre son. Leur travail a été fondateur. Ils ne se contentaient pas de programmer une boîte à rythmes ; ils sculptaient le son, ils étaient déjà des artisans.

Philippe Zdar qui formait le duo Cassius avec Hubert Blanc-Francard a trouvé la mort ce 19 juin par accident

Leur secret ? Une maîtrise incroyable du sampling. Ils utilisaient des machines comme les samplers Akai, qui avaient une couleur sonore bien à eux. Chaque échantillon, souvent pioché sur de vieux disques de soul ou de funk, passait à travers des convertisseurs qui lui donnaient un grain, une chaleur unique. Il savait comment découper une boucle, la transposer, la filtrer pour qu’elle devienne l’âme d’un nouveau morceau. C’est ce qui a donné au rap français un son plus musical, plus chaud que certaines productions américaines de l’époque.

2. La Révélation : Le Son Brut et Filtré

Au milieu de la grande vague électronique, un tournant s’opère. Avec un autre futur grand nom de la scène, il monte un projet parallèle dont l’album est aujourd’hui considéré comme une pièce maîtresse, un des disques fondateurs de la French Touch. Techniquement, c’est une véritable leçon de son. Le son est brut, presque sale, mais doté d’une énergie folle.

Philippe Zdar a trouvé la mort dans une chute accidentelle, deux jours avant la sortie du nouvel album de Cassius Dreems

Leur grande innovation, partagée avec d’autres pionniers, était l’utilisation créative et massive du filtre. Le principe est simple, et vous pouvez l’essayer chez vous !

Petit tuto express : Comment recréer ce son de basse filtrée ?
Prenez une boucle de basse (ou n’importe quelle boucle avec un peu de matière). Dans votre logiciel de musique (DAW), insérez un plugin de filtre, même celui fourni de base fera l’affaire. Choisissez un filtre « passe-bas » (Low-Pass Filter) et jouez avec la molette de fréquence de coupure (« cutoff »). En l’ouvrant et la fermant lentement, vous créez ce mouvement « wouah-wouah » typique qui donne instantanément vie à votre piste. C’est simple, mais terriblement efficace.

Leur musique sonnait différemment. Il y avait une urgence, un côté presque punk dans la démarche. Les rythmiques, souvent créées sur des machines réputées pour leur punch comme la E-mu SP-1200, étaient massives. C’était de la house, mais avec une âme de hip-hop. La preuve qu’on pouvait faire danser les foules avec un son qui avait du caractère et de belles imperfections.

Zdar, un des artisans de la scène électronique française French Touch est décédé à l age de 52 ans

3. L’Atelier du Maître : La Magie de la Console

Après cette aventure, il retrouve son acolyte pour former leur duo iconique. C’est là que sa maîtrise a atteint son sommet. Ils ont monté leur propre studio, centré autour d’une pièce maîtresse : une légendaire console de mixage britannique de la série 4000. Parler de cette console est essentiel pour comprendre ce son si particulier.

Ces consoles sont des standards de l’industrie, connues pour leur son clair et percutant. Mais la vraie magie, pour des producteurs comme lui, se trouvait dans un élément bien précis : le compresseur intégré sur le bus master. Ce petit circuit a une capacité unique à « coller » un mix. Imaginez une colle sonore qui resserre tous les éléments (batterie, basse, voix…) pour qu’ils sonnent comme un seul bloc cohérent et puissant. On appelle ça « la glue ».

Bon à savoir : Obtenir « la glue » sans se ruiner
Tout le monde n’a pas une console à 50 000€ dans son salon, mais on peut s’en approcher ! Il existe d’excellents plugins qui émulent ce fameux compresseur. Comptez entre 30€ en promo et 300€ pour des versions haut de gamme (chez Waves, Universal Audio, Plugin Alliance…). Il existe même des alternatives gratuites de grande qualité, comme le fameux Kotelnikov de TDR.

Pour essayer chez vous :
Sur votre piste master, placez une de ces émulations et essayez ces réglages comme point de départ : un ratio de 4:1, une attaque lente (vers 30ms), un release rapide (vers 100ms ou sur « Auto »), et visez une réduction de gain de 2 à 4 dB maximum. Attention, c’est une base ! L’important est de faire confiance à vos oreilles. Vous sentirez le morceau se resserrer et gagner en énergie.

4. Le Producteur au Service des Autres

La marque d’un grand artisan, c’est sa capacité à se mettre au service des autres. Il n’était pas seulement l’homme de ses propres projets ; il était un producteur et un mixeur très recherché. Sa collaboration la plus célèbre reste sans doute celle avec un grand groupe de pop-rock français, pour un album qui a remporté une reconnaissance internationale majeure.

Son approche était de ne jamais imposer un son, mais d’aider les artistes à trouver le leur. Avec ce groupe, il a su marier la sophistication pop avec une énergie rock et une efficacité électronique. Le mixage est d’une précision chirurgicale, mais reste toujours incroyablement vivant.

Petit exercice d’écoute :
Pour vraiment comprendre sa polyvalence, faites ce test. Allez sur votre plateforme de streaming et écoutez un titre de son projet house pionnier, puis enchaînez avec un morceau du fameux album de ce groupe de pop-rock. Concentrez-vous sur la batterie. D’un côté, un son brut, presque « sale ». De l’autre, une frappe nette, précise et parfaitement intégrée. C’est ça, le génie de l’adaptation.

Il a su passer d’un son post-punk tendu avec des groupes new-yorkais à une pop électronique plus mélancolique avec des artistes britanniques. Il était un véritable passeur entre les mondes musicaux.

5. L’Héritage : Au-delà de la Technique

Le métier de producteur est un métier de passion, mais il est aussi incroyablement exigeant. Les nuits blanches, la pression, l’obsession de la perfection… C’est un environnement qui peut être très usant. La nouvelle de sa disparition a été un rappel brutal de notre propre fragilité.

Ces événements tragiques qui touchent parfois notre milieu nous rappellent l’importance de prendre soin les uns des autres. Le studio peut devenir une bulle isolante et la vie d’artiste, épuisante. Il est crucial de parler de santé mentale. D’ailleurs, de nombreuses ressources et associations existent aujourd’hui pour soutenir les professionnels de la musique. La plus grande force d’une scène créative a toujours été son esprit de famille et de solidarité.

Son héritage est immense. Il est dans les disques, bien sûr. Mais il est aussi dans les méthodes de travail qu’il a popularisées. Il a montré qu’on pouvait être un technicien de génie tout en restant un artiste à fleur de peau. Il a prouvé que la musique électronique pouvait être chaude, humaine et pleine d’âme.

Au final, il était un artisan au sens le plus noble du terme. Un homme qui connaissait ses outils par cœur, mais qui n’oubliait jamais que le but ultime était de créer une émotion. Il mixait avec ses oreilles, mais surtout avec son cœur. Et pour nous, les gens de l’ombre, son parcours reste une inspiration, un rappel de la raison pour laquelle on a choisi ce métier : pour cette magie unique qui opère quand on appuie sur le bouton « Enregistrer ».

Laurine Benoit

Designer d'Intérieur & Consultante en Art de Vivre
Domaines de prédilection : Aménagement intérieur, Éco-conception, Tendances mode
Après des années passées à transformer des espaces de vie, Laurine a développé une approche unique qui marie esthétique et fonctionnalité. Elle puise son inspiration dans ses voyages à travers l'Europe, où elle découvre sans cesse de nouvelles tendances et techniques. Passionnée par les matériaux durables, elle teste personnellement chaque solution qu'elle recommande. Entre deux projets de rénovation, vous la trouverez probablement en train de chiner dans les brocantes ou d'expérimenter de nouvelles palettes de couleurs dans son atelier parisien.