Fiction violente : faut-il vraiment avoir peur des méchants qu’on adore ?

La tension monte ! Découvrez comment Joaquin Phoenix a réagi à une question délicate lors d’une interview sur le Joker.

Auteur Laurine Benoit

On est tous sortis d’une salle de cinéma un jour en se disant : « Wow, ce film m’a retourné. » Un bon film, ça ne fait pas que divertir. Ça secoue, ça dérange, ça nous force à regarder des choses qu’on préférerait ignorer. Et il y a quelques temps, un film avec un clown tragique a fait l’effet d’une véritable bombe. En tant que spécialiste des médias et de leur impact sur nos vies, je peux vous dire que ce n’était pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière.

Chaque fois qu’une œuvre d’art plonge tête la première dans la violence, la même question angoissée refait surface : est-ce que ça peut donner de mauvaises idées ?

Honnêtement, cette polémique n’avait rien de neuf. La peur qu’un personnage de fiction pousse une personne fragile à commettre l’irréparable est aussi vieille que les histoires qu’on se raconte. Mais vouloir répondre par un simple « oui » ou « non », c’est passer à côté de toute la complexité du sujet. Mon but ici n’est pas de jouer les avocats ou les procureurs pour ce film. C’est de vous partager quelques clés d’analyse, celles que les professionnels utilisent pour décrypter ce lien si particulier entre ce qu’on regarde et ce qu’on vit. Et ça, croyez-moi, ça demande un peu de nuance.

Joaquin Phoenix n' pas apprécié une question à propose la violence du film le Joker

La science derrière l’influence des médias (sans le jargon)

Pour commencer, il faut jeter une vieille idée à la poubelle : celle de la « seringue hypodermique ». C’est une théorie un peu antique qui voyait le public comme une masse passive à qui les médias « injectaient » des messages directement dans le cerveau. Aujourd’hui, on sait que c’est bien plus subtil. Chacun de nous regarde un film avec son propre bagage : son éducation, ses valeurs, son humeur du moment.

Les théories modernes sont plus fines. L’une des plus connues est celle de l’apprentissage social. En gros, elle dit qu’on peut apprendre des comportements en observant les autres, y compris les héros de nos fictions. Par exemple, un gamin qui voit Spider-Man faire des acrobaties aura peut-être envie de sauter du canapé en l’imitant. Mais attention ! Pour qu’une personne imite un acte violent vu à l’écran, plusieurs conditions doivent être réunies : il faut qu’elle s’identifie à fond au personnage, que la violence soit montrée comme justifiée ou récompensée, et surtout, que la personne ait déjà en elle une prédisposition à la violence.

Joaquin Phoenix n'a pas aimé la question d'un journaliste et interrompt une interview

Un film, même très sombre, ne transforme pas un citoyen lambda en tueur. Dans des cas rarissimes, il peut servir de détonateur pour quelqu’un qui est déjà en grande détresse psychologique et totalement isolé. Le film ne crée pas la rage, mais il peut lui donner une forme, un scénario fantasmé. La nuance est capitale : le problème n’est pas le film, c’est le terrain fragile sur lequel il tombe.

Une autre piste intéressante est la théorie de la culture. Selon elle, le principal effet des médias n’est pas de nous faire agir, mais de façonner notre perception du monde. À force de voir de la violence à l’écran, on peut finir par croire que le monde réel est bien plus dangereux qu’il ne l’est vraiment. Ça peut créer de l’anxiété, de la méfiance… mais pas forcément un passage à l’acte.

Dans la tête d’un analyste : mon kit de décryptage

Quand j’analyse un film pour évaluer son impact potentiel, je ne me contente pas de compter les scènes de violence. Je décortique la façon dont elle est filmée. C’est un peu ma boîte à outils, et je la partage avec vous.

Interrogé sur la violence suscitée dans Joker, Joaquin Phoenix quitte la séance d'interview du Telegraph

1. La violence : est-elle cool ou tragique ?
C’est LA question essentielle. Est-ce que le film rend la violence attractive, stylée ? Dans le cas de notre clown, ses actes violents ne sont jamais montrés comme une victoire glorieuse. Au contraire, c’est brut, pathétique. Son premier meurtre est une explosion de panique, pas un acte de pouvoir. Le meurtre final, en direct à la télé, est filmé comme un point de non-retour absolument tragique. La musique, les plans, le jeu de l’acteur… tout nous montre un homme brisé qui sombre. Le message n’est pas « Soyez comme lui », mais plutôt « Regardez ce que notre société fabrique quand elle abandonne les plus fragiles ». C’est une mise en garde, pas un mode d’emploi.

2. Le contexte : pourquoi ce film a-t-il tant parlé aux gens ?
Une œuvre ne sort jamais de nulle part. Ce film est arrivé à une période de fortes tensions sociales, de colère contre les élites. Il a résonné avec un sentiment d’impuissance bien réel. Je me souviens d’un débat houleux en amphi où un étudiant, la voix tremblante, expliquait à quel point il se reconnaissait, non pas dans la violence, mais dans le sentiment d’être complètement invisible aux yeux du système. Pour beaucoup, le personnage n’était pas un modèle, mais un miroir déformant de leur propre souffrance.

Joaquin Phoenix a une nouvelle fois mis fin à une séance d'interview après une question jugée "déplacée"

3. Les publics : à qui le film s’adresse-t-il vraiment ?
La sociologie nous apprend qu’il n’y a pas un public, mais DES publics. L’interprétation d’un film varie énormément. La majorité des spectateurs a très bien compris la dimension critique et dramatique du film. Mais une petite minorité, souvent déjà en marge, a pu se focaliser uniquement sur le côté transgressif du personnage. C’est vers cette minorité que les efforts de prévention doivent se tourner, et ça, c’est le travail des psys et des travailleurs sociaux, pas des critiques de cinéma.

Une histoire, deux visions : le débat des deux côtés de l’Atlantique

D’ailleurs, c’était fascinant de voir à quel point le débat n’était pas le même en France et aux États-Unis. En discutant avec des collègues américains, la différence était frappante.

Aux États-Unis, la discussion a été immédiatement dominée par la peur d’une nouvelle tuerie de masse. Le souvenir douloureux de fusillades passées lors de projections de films était dans tous les esprits. Les médias se sont focalisés sur le risque d’imitation, avec une question très pragmatique : ce film va-t-il armer le bras d’un nouveau tireur ? La présence policière a même été renforcée devant certains cinémas. Une réaction directement liée à leur réalité, notamment la circulation massive des armes à feu.

En France, c’était une autre ambiance. Le débat a pris une tournure bien plus philosophique et politique. On a moins parlé du risque d’imitation que de la signification du film. Beaucoup y ont vu un écho à un grand mouvement social de l’époque, une métaphore de la révolte des « invisibles ». On a parlé de la faillite des services publics, de la violence du système économique… C’est très français, cette tendance à intellectualiser le débat culturel. Le film était moins vu comme un danger que comme le symptôme d’un mal plus profond.

La vraie solution : éduquer le regard plutôt que censurer

Face à une œuvre aussi complexe, la censure est la pire des réponses. C’est une solution de facilité qui ne règle rien. La seule solution durable, c’est l’éducation aux médias. Apprendre à être un spectateur actif et critique.

Mon mini-guide pour en parler avec vos ados :
Si votre ado a l’âge de voir un film aussi dense (en France, il était interdit aux moins de 12 ans avec avertissement), ne le laissez pas seul avec. L’idéal est d’en discuter après. Voici comment amorcer la conversation en 3 étapes :

  1. Choisissez le bon moment : Pas entre deux portes. Profitez d’un trajet en voiture ou d’un moment calme à la maison.
  2. Posez des questions ouvertes : Évitez les questions fermées. Essayez plutôt : « Qu’est-ce que tu as ressenti pour le personnage ? », « À ton avis, qu’est-ce qui le pousse à devenir comme ça ? », « Est-ce que le film donne l’impression que ses actes sont justes ? »
  3. Écoutez sans juger : L’objectif est de comprendre sa perception. C’est en verbalisant ses émotions qu’il mettra la fiction à sa juste place : un objet de réflexion, pas un modèle.
  4. \endol>

    Au niveau de la société, la vraie prévention ne se fait pas au cinéma, mais bien avant. Si ce film nous inquiète, c’est qu’il nous rappelle l’existence de personnes isolées et en détresse psychologique. La réponse, ce n’est pas de retirer le film, mais de renforcer les filets de sécurité. Investir dans la santé mentale, lutter contre l’isolement… Le film est un thermomètre qui indique une fièvre. Casser le thermomètre ne fait pas baisser la température.

    Pour les cinéphiles : 3 autres films qui explorent cette zone grise

    Si le sujet vous passionne, le personnage du clown s’inscrit dans une longue tradition d’antihéros fascinants. Ces personnages nous permettent d’explorer nos propres parts d’ombre en toute sécurité. Voici quelques pistes :

    • Un chauffeur de taxi insomniaque à New York : Un classique absolu sur la solitude urbaine et la dérive violente.
    • Un prof de chimie qui se lance dans le crime : Une série culte qui montre la transformation d’un homme ordinaire en baron de la drogue.
    • Un consultant financier psychopathe à Wall Street : Une satire glaçante du matérialisme et du vide existentiel.

    Attention : quelques avertissements importants

    Mon analyse se veut nuancée, mais je me dois d’être très clair sur certains points.

    Besoin d’aide ou de parler ?
    Un film qui dépeint une descente aux enfers psychologique peut être très éprouvant si vous êtes vous-même dans une période de fragilité. Si vous ou un proche vous sentez mal, n’hésitez jamais à chercher de l’aide. Il existe des structures d’écoute anonymes et gratuites, disponibles 24h/24. Pensez à des lignes comme SOS Amitié (un simple appel peut tout changer) ou Fil Santé Jeunes pour les plus jeunes. Leur travail est essentiel et ils peuvent offrir un soutien immédiat.

    Les signaux d’alarme à ne pas ignorer
    Le risque qu’un spectateur devienne violent après le film est quasi nul. Mais il faut rester vigilant. Si un proche ne parle plus de la souffrance du personnage mais glorifie ses meurtres, s’il se met à dire des choses comme « Franchement, il a eu raison de faire ça » ou « Je me sens exactement comme lui, à deux doigts de craquer », ce n’est plus de la cinéphilie. C’est un appel à l’aide qui doit être pris très au sérieux.

    Mon analyse est celle d’un expert des médias, elle ne remplace en aucun cas un diagnostic médical. La violence a toujours des racines multiples et complexes. Le cinéma en est le reflet, parfois le révélateur, mais rarement la cause unique.

    Finalement, cette controverse a été un moment de débat public précieux. Plutôt que de pointer du doigt le messager, écoutons le message. La souffrance sociale est réelle, l’isolement peut tuer. Alors, on fait quoi, à notre échelle ? Ça peut être aussi simple que de prendre des nouvelles d’un voisin qu’on sait isolé, soutenir une association de quartier, ou simplement voter pour des programmes qui ne sacrifient pas la santé mentale sur l’autel du budget. C’est peut-être ça, la vérité la plus dérangeante que le miroir grimaçant du clown nous a tendue.

Inspirations et idées

L’une des plus vieilles théories pour expliquer notre fascination pour la violence remonte à Aristote : la catharsis. L’idée est que la fiction agit comme une soupape de sécurité. En vivant par procuration des émotions intenses et des pulsions sombres dans le cadre contrôlé d’un film, nous purgerions nos propres frustrations sans jamais passer à l’acte. Une manière de toucher au chaos, mais depuis la sécurité de son canapé.

  • Un charisme magnétique qui nous captive malgré nous.
  • Une histoire personnelle (souvent tragique) qui éclaire, sans forcément excuser, ses motivations.
  • Une intelligence supérieure ou une compétence hors du commun.
  • Une philosophie propre, même si elle est tordue et terrifiante.

Le saviez-vous ? Ce sentiment de connaître intimement un personnage de fiction porte un nom : la relation parasociale. C’est un lien à sens unique, où le spectateur investit du temps et de l’émotion. Ce mécanisme explique pourquoi la

Une étude menée en 2019 par des chercheurs de l’Université d’Oxford n’a trouvé

Comment peut-on apprécier un personnage comme Tony Soprano tout en réprouvant ses actes ?

La réponse se trouve dans le concept de

Le Joker (version The Dark Knight) : C’est l’agent du chaos pur. Son but n’est pas le pouvoir ou l’argent, mais de prouver que la civilisation n’est qu’un vernis prêt à craquer. Il est l’incarnation de l’anarchie.

Thanos (Avengers: Infinity War) : Il est le tyran utilitariste. Persuadé d’agir pour le

Pendant des décennies, Hollywood a été régi par le Code Hays (1934-1968), un ensemble de règles de censure très strictes interdisant de présenter le crime sous un jour favorable. Aujourd’hui, l’approche a changé :

  • Les films sont évalués par des commissions qui leur attribuent des classifications par âge (interdit aux moins de 12, 16 ans…).
  • Les jeux vidéo suivent une logique similaire avec la norme PEGI (Pan European Game Information) en Europe.
  • L’objectif n’est plus de cacher, mais d’informer pour permettre un choix éclairé.
  • Les conséquences de la violence sont-elles montrées ?
  • La souffrance des victimes est-elle visible et palpable ?
  • L’acte violent est-il présenté comme une solution facile et

    Le véritable tour de force des séries modernes, de Breaking Bad à Ozark, est d’avoir placé l’anti-héros au centre du récit. Ces personnages complexes, de Walter White à Marty Byrde, nous forcent à naviguer dans une zone grise. On s’attache à eux, on espère qu’ils s’en sortent, tout en étant horrifié par leurs choix. Une preuve que la fiction a dépassé le simple conflit manichéen du bien contre le mal.

Laurine Benoit

Designer d'Intérieur & Consultante en Art de Vivre
Domaines de prédilection : Aménagement intérieur, Éco-conception, Tendances mode
Après des années passées à transformer des espaces de vie, Laurine a développé une approche unique qui marie esthétique et fonctionnalité. Elle puise son inspiration dans ses voyages à travers l'Europe, où elle découvre sans cesse de nouvelles tendances et techniques. Passionnée par les matériaux durables, elle teste personnellement chaque solution qu'elle recommande. Entre deux projets de rénovation, vous la trouverez probablement en train de chiner dans les brocantes ou d'expérimenter de nouvelles palettes de couleurs dans son atelier parisien.