Le pari Kenzo : autopsie d’une nomination qui semblait parfaite
Découvrez comment Felipe Oliveira Baptista, nouveau Directeur Artistique de Kenzo, réinvente l’élégance tout en célébrant la diversité culturelle.

Chaque créateur a une histoire, et la mienne est tissée de couleurs et de cultures. Je me souviens de ma grand-mère, qui disait que la mode est un reflet de notre identité. Felipe Oliveira Baptista, avec son parcours riche et son sens de l’innovation, incarne cette philosophie. À la tête de Kenzo, il promet une fusion délicate entre tradition et modernité, tout en gardant l’esprit joyeux de la marque.
Dans le monde de la mode, il y a des histoires qui semblent écrites d’avance. Des nominations de directeurs artistiques qui, sur le papier, cochent absolument toutes les cases. Et puis, il y a la réalité. L’alchimie, cette chose imprévisible qui fait qu’une vision prend vie… ou pas. Le cas de la maison Kenzo il y a quelques années est une étude de cas fascinante à ce sujet.
Contenu de la page
J’ai passé plus de vingt ans dans ce milieu, à observer les marques renaître ou, au contraire, perdre leur âme. Chaque changement à la tête d’une maison est un pari calculé, un alignement délicat entre une vision créative et une ambition commerciale. Pour comprendre ce qui s’est joué chez Kenzo, il ne suffit pas de lire un communiqué de presse. Il faut plonger dans les coulisses, analyser les forces en présence et, surtout, comprendre pourquoi une stratégie qui semblait infaillible n’a pas tenu toutes ses promesses.

D’abord, d’où venait Kenzo ?
Pour saisir l’enjeu, il faut se souvenir de ce qu’est Kenzo à la base. À ses débuts, la marque a dynamité la mode parisienne, alors assez rigide. Son fondateur a apporté une fraîcheur incroyable : des coupes amples inspirées du kimono, des couleurs vives, des imprimés floraux exubérants… C’était une célébration de la joie, de la nature et du voyage. J’ai eu la chance d’assister à certains de ces défilés à l’époque ; c’étaient de vraies fêtes, on en sortait avec le sourire. C’est ça, l’ADN de la marque : une mode joyeuse et libre.
Puis, bien plus tard, une nouvelle équipe a pris les rênes et a su reconnecter la marque à la culture de la rue. Leur coup de génie ? Le fameux sweat-shirt à tête de tigre. Un phénomène planétaire ! Franchement, ce produit a remis Kenzo sur la carte pour toute une génération. Le problème, c’est que ce succès a été si immense qu’il a fini par éclipser le reste. La marque est devenue ultra-dépendante de ses produits à logo (le tigre, l’œil…). Or, quand un sweat à 250€ représente l’essentiel de ton image, tu risques de passer pour une marque d’accessoires plutôt qu’une véritable maison de prêt-à-porter. Un piège classique.

Le défi pour le groupe propriétaire était donc limpide : comment passer à l’étape suivante ? Comment reconstruire une offre de mode plus profonde, plus luxueuse, sans perdre la notoriété acquise ?
La solution qui semblait évidente
C’est là qu’intervient le choix d’un nouveau directeur artistique, un créateur au profil radicalement différent. Un bâtisseur, pas une star des réseaux sociaux. Un homme dont la réputation dans le métier reposait sur l’intelligence du vêtement plutôt que sur le spectacle.
Son parcours parlait pour lui. Après avoir fait ses armes avec sa propre marque (une expérience qui vous apprend le pragmatisme et le coût réel des choses), il a passé près d’une décennie à transformer une célèbre marque au crocodile. Avant lui, cette marque était respectée mais un peu endormie. Il l’a réveillée avec une méthode brillante.
Au lieu d’une révolution, il a opté pour une évolution intelligente, ce que j’appelle « l’élégance fonctionnelle ». Voici quelques-unes de ses techniques :

- Détourner les matières : Il a pris le piqué de coton iconique du polo pour en faire des robes et des blousons. Il a intégré des tissus techniques, venus du sport, dans le vestiaire du quotidien. Je me souviens d’un trench-coat en nylon si léger qu’il se pliait dans une poche. C’était beau, malin et totalement dans l’esprit de la marque.
- Jouer avec les volumes : Il a étiré, élargi, et transformé les pièces iconiques pour créer des silhouettes confortables et modernes qui respiraient la liberté de mouvement.
- Moderniser la couleur : Il a gardé la palette classique mais y a injecté des touches vives, graphiques, qui modernisaient l’ensemble sans le rendre criard.
Le résultat ? La marque a grimpé en gamme, a séduit une nouvelle clientèle et les ventes ont explosé. Pour un grand groupe de luxe, c’était la preuve ultime : ce créateur savait transformer une vision en succès commercial durable. Le candidat parfait pour Kenzo, non ?

Le pari : passer du logo au vêtement
La logique était imparable. L’ère de la « logomania » commençait à s’essouffler. Les clients du luxe se tournaient de nouveau vers des produits dont la valeur réside dans la coupe et la matière. Le brief était donc de faire passer Kenzo d’une marque de sweats viraux à une maison de prêt-à-porter désirable. Concrètement, il s’agissait de convaincre les clients d’acheter non plus seulement un sweat à 250€, mais aussi un manteau technique à 800€ ou une robe architecturée à 600€.
Et étonnamment, les deux univers n’étaient pas si opposés. Le fondateur de Kenzo libérait le corps avec des volumes fluides. Ce nouveau créateur, lui, le libérait avec des matières techniques et une construction intelligente. Le thème du « nomadisme » et de la protection, cher au nouveau venu, faisait écho à l’esprit de voyage originel de la maison.
Mise à jour : alors, pourquoi ça n’a pas marché ?
C’est là que l’histoire devient une vraie leçon de mode. Car, il faut être honnête, l’aventure a pris fin plus tôt que prévu. Malgré cette logique implacable, l’alchimie n’a pas totalement pris. Alors, avec le recul, que s’est-il passé ?
Plusieurs pistes se dessinent. D’abord, le choc esthétique a peut-être été trop brutal pour la clientèle existante, habituée à l’énergie pop et aux logos très identifiables. Le passage à une mode plus sobre, plus intellectuelle, a pu dérouter. Attention, les collections étaient superbes, pleines d’idées (on peut facilement trouver les images des défilés en ligne), mais elles s’adressaient peut-être à un public que Kenzo n’avait pas encore.
Ensuite, il y a la pression du temps. Dans un grand groupe, les résultats doivent suivre, et vite. Reconstruire une image de marque et éduquer une nouvelle clientèle prend plusieurs années. Le cycle de la mode, lui, est de plus en plus court. Il n’a peut-être tout simplement pas eu le temps nécessaire pour que sa vision s’installe durablement et se traduise dans les chiffres de vente.
C’est la preuve que même la meilleure stratégie du monde reste un pari. L’équation de la mode a des variables que personne ne maîtrise vraiment.
Petit conseil pour les futurs pros de la mode
Si tu veux bosser dans ce secteur, retiens bien cette histoire. Elle est fondamentale. Ta vision personnelle, c’est bien. Mais ta capacité à comprendre, respecter et sublimer l’ADN d’une maison historique, c’est encore plus précieux. Le vrai talent d’un directeur artistique n’est pas d’imposer son style, mais de faire dialoguer son époque avec l’histoire d’une marque. Le cas Kenzo est la preuve parfaite que cet exercice est l’un des plus difficiles qui soient.
Un pari sur la substance, une leçon pour l’industrie
Au final, cette nomination était un signal fort : le retour à un luxe basé sur le produit, l’intelligence et la qualité. Un pari sur la substance plutôt que sur le buzz. Même si l’histoire s’est terminée différemment, la logique de départ reste pertinente et nous en dit long sur les aspirations de l’industrie.
Cela nous rappelle que le succès est une alchimie fragile entre un créateur, une maison et son public. Une recette complexe où même les meilleurs ingrédients ne garantissent pas un plat réussi.
Et vous, d’ailleurs, vous aviez aimé l’ère du sweat à logo ? Ou vous étiez plutôt séduit par la promesse d’un Kenzo plus architectural ? Dites-moi tout en commentaire, ça m’intéresse !