Vous les jetez, pourtant ils contiennent de l’or 22 carats

C’est un geste devenu banal, presque un réflexe. Un smartphone qui ralentit, un ordinateur portable obsolète, une vieille télévision qui prend la poussière. Direction la déchetterie, ou au mieux, une revente pour quelques euros. Pourtant, à l’intérieur de ces carcasses de plastique et de métal se cache une ressource que l’humanité convoite depuis des millénaires : de l’or. Et pas n’importe lequel, souvent de l’or 22 carats.
Cette réalité, méconnue du grand public, est le quotidien d’un nombre croissant d’acteurs de ce que l’on nomme désormais le « minage urbain ». Avec la prolifération exponentielle des appareils électroniques, nos villes et nos foyers sont devenus les gisements les plus riches de la planète en métaux précieux. Chaque année, l’humanité génère un volume stupéfiant de déchets électroniques, ou e-déchets – près de 54 millions de tonnes en 2019, un chiffre qui devrait dépasser les 74 millions de tonnes d’ici 2030 selon les Nations Unies.
Le cœur de ce trésor moderne se trouve sur les cartes mères (motherboards), ces circuits imprimés complexes qui sont le système nerveux de nos ordinateurs, tablettes et téléphones. « Les cartes mères sont présentes dans la plupart des systèmes électroniques, et 99 % des alliages que vous y voyez dorés, c’est bien de l’or », confie un récupérateur indépendant qui a appris le métier sur le terrain. L’or n’est pas là pour l’esthétique ; il est utilisé pour ses propriétés exceptionnelles de conductivité électrique et sa résistance à la corrosion, garantissant la fiabilité des connexions les plus critiques.
C’est ainsi que des filières parallèles se sont organisées. Des réparateurs de téléphones aux ferrailleurs, beaucoup ont compris la valeur cachée de ces appareils mis au rebut. « J’avais accumulé un grand nombre de téléphones irréparables », explique un technicien. « J’ai passé une semaine à en extraire méticuleusement les cartes mères. » La valeur est bien réelle : une tonne de cartes mères peut contenir entre 100 et 200 grammes d’or, une concentration bien supérieure à celle des mines traditionnelles où l’on peine à extraire quelques grammes par tonne de minerai.
Les deux visages du recyclage

Mais derrière cette chasse au trésor se cache une réalité à double tranchant. La méthode artisanale, souvent employée dans le secteur informel, est aussi rudimentaire que dangereuse. Elle implique de plonger les circuits imprimés dans un bain d’acides puissants, souvent de l’eau régale (un mélange d’acide nitrique et chlorhydrique), pour dissoudre les métaux de base et isoler l’or. « C’est un processus qu’on ne peut pas faire soi-même sans équipement et sans connaissances. C’est extrêmement dangereux », prévient le récupérateur. Les vapeurs toxiques et le risque de brûlures chimiques sont omniprésents.
Cette pratique, poussée à l’extrême, a créé des désastres écologiques et sanitaires dans certaines parties du monde. Des lieux comme Agbogbloshie à Accra, au Ghana, sont devenus des cimetières technologiques à ciel ouvert où des milliers de personnes, souvent des enfants, brûlent les composants électroniques pour en extraire le cuivre et d’autres métaux, s’exposant à des fumées chargées de métaux lourds et de polluants persistants.
Face à ce Far West de la récupération, une filière structurée et industrielle s’est développée, notamment en Europe. En France, le recyclage est encadré par la directive européenne DEEE (Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques), mise en œuvre par des éco-organismes agréés comme Ecosystem ou Ecologic. Lorsque vous déposez vos appareils dans un point de collecte officiel, ils entrent dans un circuit hautement contrôlé.
Dans des usines spécialisées, les appareils sont d’abord dépollués : on retire les batteries, les piles, les condensateurs et autres composants dangereux. Ensuite, un broyage mécanique sépare les différents matériaux – plastiques, métaux ferreux, et le précieux concentré de métaux non ferreux contenant l’or, l’argent, le palladium et le cuivre. Ces concentrés sont ensuite envoyés dans des fonderies et des affineries de haute technologie capables de séparer chaque métal avec un rendement élevé et en toute sécurité. Grâce à ces procédés, plus de 80 % de la matière d’un téléphone portable peut être recyclée.
Un enjeu économique et écologique majeur

L’enjeu n’est pas seulement de récupérer de l’or. Nos appareils électroniques sont des mines de matières critiques pour la transition énergétique et numérique. Au-delà de l’or, ils contiennent :
- Du cuivre : essentiel pour les câblages et les moteurs électriques.
- De l’argent et du palladium : utilisés dans de nombreux contacts et composants.
- Du cobalt et du lithium : indispensables pour les batteries.
- Des terres rares : cruciales pour les aimants des haut-parleurs ou les écrans.
Extraire ces matériaux de nos déchets coûte beaucoup moins cher, en énergie et en impact environnemental, que de les extraire du sous-sol. Le recyclage permet de réduire notre dépendance géopolitique vis-à-vis des quelques pays qui contrôlent la production minière de ces ressources stratégiques.
Plus important encore, le recyclage encadré est la seule réponse à la bombe à retardement environnementale que constituent les e-déchets. Car au-delà des trésors qu’ils renferment, ces appareils contiennent aussi des substances extrêmement nocives : du plomb dans les soudures, du mercure dans les écrans LCD, du cadmium dans les vieilles batteries et des retardateurs de flamme bromés potentiellement cancérigènes dans les plastiques. Abandonnés dans la nature ou enfouis en décharge, ces toxiques s’infiltrent lentement dans les sols et les nappes phréatiques, contaminant l’environnement pour des décennies.
Ainsi, le choix de jeter ou de recycler correctement un vieil appareil électronique n’est pas anodin. Il ne s’agit pas simplement de se débarrasser d’un objet inutile, mais de décider si une ressource précieuse sera perdue et si des polluants dangereux seront libérés. Vendre ses appareils à bas prix à des ferrailleurs non spécialisés, c’est prendre le risque de nourrir des filières de traitement dangereuses. Le geste juste est de les confier aux points de collecte dédiés en magasin ou en déchetterie, garantissant leur entrée dans une boucle d’économie circulaire qui protège à la fois la planète et notre santé.