Requin-marteau : le secret de sa tête si étrange

Auteur Nicolas Kayser-Bril
requin marteau le secret de sa tyte si ytrange

Avec sa silhouette reconnaissable entre mille, le requin-marteau captive l’imagination. Sa tête aplatie et démesurément large, appelée céphalofoil, semble tout droit sortie d’un film de science-fiction. Pourtant, loin d’être une simple extravagance de l’évolution, cette forme unique est un véritable chef-d’œuvre d’ingénierie biologique, un atout majeur qui fait de lui l’un des prédateurs les plus efficaces des océans.

Appartenant à la famille des Sphyrnidae, les requins-marteaux ne forment pas un groupe homogène. On y trouve une dizaine d’espèces, du grand requin-marteau (*Sphyrna mokarran*), un colosse pouvant atteindre plus de 6 mètres de long, au plus modeste requin-marteau tiburo (*Sphyrna tiburo*), qui dépasse rarement un mètre. Chacun, à son échelle, bénéficie des avantages prodigieux conférés par cette tête si particulière, un véritable couteau suisse sensoriel perfectionné au fil de millions d’années.

Une vision panoramique pour traquer ses proies

Le premier avantage, et le plus évident, est visuel. En plaçant les yeux aux extrémités de sa tête, l’évolution a doté le requin-marteau d’un champ de vision exceptionnel. Une étude de 2009 a quantifié cet avantage : certaines espèces bénéficient d’une vision stéréoscopique sur 34 à 48 degrés, contre seulement 10 à 15 degrés pour les autres requins au museau pointu. Ce chevauchement des champs visuels gauche et droit lui offre une perception de la profondeur et des distances d’une précision redoutable, un atout crucial pour ajuster l’attaque finale sur une proie agile.

Mais ce n’est pas tout. Cette disposition lui confère une vision panoramique à près de 360 degrés sur le plan vertical. En un simple balancement de tête, il peut surveiller ce qui se passe au-dessus de lui, en dessous et sur les côtés, éliminant ainsi la plupart des angles morts. Pour un prédateur qui chasse aussi bien en pleine eau que près des fonds marins, cette capacité à tout voir, tout le temps, change radicalement les règles du jeu.

Un sixième sens amplifié par la forme

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C’est peut-être dans le domaine sensoriel que le céphalofoil révèle son plus grand secret. Comme tous les requins, le requin-marteau est équipé d’ampoules de Lorenzini, de minuscules pores remplis d’un gel conducteur qui tapissent son museau. Ces organes lui confèrent un sixième sens : l’électro-réception. Ils lui permettent de détecter les champs électriques infimes émis par les battements de cœur ou les contractions musculaires de tous les êtres vivants.

Chez le requin-marteau, la surface étendue de sa tête agit comme une antenne géante. Le nombre d’ampoules est démultiplié et leur répartition sur une plus grande largeur lui permet de scanner le fond marin avec une efficacité inégalée. Lorsqu’il nage en balayant sa tête de gauche à droite, il se comporte comme un détecteur de métaux ultra-sensible, capable de localiser une raie ou un poisson plat parfaitement camouflé sous plusieurs centimètres de sable. Cette capacité fait de lui le spécialiste incontesté de la chasse au camouflage, accédant à des proies invisibles pour les autres prédateurs.

Une aile pour manœuvrer avec agilité

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Intuitivement, on pourrait penser qu’une telle tête augmente la traînée et handicape le requin dans ses mouvements. C’est tout le contraire. Le céphalofoil agit comme une aile d’avion ou un aileron de voiture de course, un hydroptère qui lui confère une portance et une manœuvrabilité extraordinaires. Cette structure lui permet d’effectuer des virages serrés et des changements de direction d’une rapidité fulgurante, bien plus vifs que ceux de requins à la morphologie plus classique.

Cette agilité est essentielle pour chasser des proies rapides comme les calmars ou les bancs de poissons. Des observations ont également montré que le requin-marteau utilise sa tête pour plaquer au sol des proies récalcitrantes, comme les raies pastenagues, utilisant à la fois la force et la forme de son crâne comme un outil de contention avant de porter le coup fatal.

Un chef-d’œuvre de l’évolution aujourd’hui menacé

La forme si particulière du requin-marteau est un cas d’école en matière d’adaptation évolutive. Chaque aspect de cette structure, de la vision à l’hydrodynamisme en passant par l’électro-réception, a été optimisé pour un mode de vie de prédateur de haut vol. C’est la démonstration que dans la nature, les formes les plus étranges sont souvent les plus fonctionnelles.

Pourtant, cette perfection évolutive ne le protège pas de la plus grande menace : l’homme. Plusieurs espèces de requins-marteaux, notamment le grand requin-marteau et le requin-marteau halicorne, sont aujourd’hui classées « En danger critique d’extinction » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Leur tendance à se regrouper en grands bancs les rend particulièrement vulnérables à la surpêche, et leurs grands ailerons sont très prisés sur les marchés asiatiques pour la soupe d’ailerons de requin. Le paradoxe est tragique : cette tête qui lui a donné tant d’avantages évolutifs le rend aujourd’hui identifiable et donc plus facile à cibler. La survie de ce prédateur iconique dépend désormais entièrement des mesures de protection internationales et de leur application stricte, notamment par les pays européens qui jouent un rôle clé dans la régulation de ce commerce.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.