Le ‘Roi des pièces américaines’ qui pourrait valoir 5 M$

Auteur Rozenn Allard
le roi des piyces amyricaines qui pourrait valoir 5 m

Dans le monde feutré de la haute numismatique, certaines pièces dépassent leur statut de simple monnaie pour devenir des icônes historiques. Le dollar en argent de 1804, frappé à Philadelphie, est de celles-ci. Surnommé le « Roi des pièces américaines », cet objet de convoitise, dont l’un des très rares exemplaires vient d’être redécouvert, s’apprête à passer sous le marteau. La vente aux enchères s’annonce déjà comme un événement majeur, avec une estimation qui pourrait dépasser les cinq millions de dollars.

Si des pièces comme le cent « Lincoln VDB » de 1909 ou la mythique « Double Eagle » de 1933 fascinent les collectionneurs, aucune n’atteint l’aura du dollar de 1804. Sa valeur ne réside pas seulement dans son extrême rareté, mais dans le paradoxe de son existence. C’est une pièce fantôme, un anachronisme numismatique qui porte une date à laquelle elle n’a, en réalité, jamais été produite.

Une naissance trois décennies trop tard

Le mystère du dollar de 1804 réside dans son histoire. Bien qu’il arbore fièrement cette date, le Professional Coin Grading Service (PCGS), l’une des plus hautes autorités en la matière, confirme qu’il a été frappé trente ans plus tard, vers 1834, sous la présidence d’Andrew Jackson. À cette époque, les États-Unis sont une jeune nation cherchant à affirmer leur place sur la scène internationale. L’administration Jackson décide alors de créer des coffrets de prestige contenant un jeu complet des pièces américaines en circulation pour les offrir en cadeaux diplomatiques.

Le 11 novembre 1834, le secrétaire d’État John Forsyth transmet l’ordre au directeur de la Monnaie, Samuel Moore. La mission : préparer des jeux de monnaies pour des dignitaires étrangers, notamment le roi de Siam et le sultan de Mascate. Mais un problème technique se pose : la production de dollars en argent avait été interrompue en 1804. Plutôt que d’omettre cette dénomination, Moore prend une décision qui forgera la légende : il fait graver de nouveaux coins datés de la dernière année de production officielle, 1804. Ainsi naît le dollar « Draped Bust » (Buste drapé), un objet conçu non pas pour le commerce, mais comme un instrument de soft power.

Ces pièces, connues sous le nom de Classe I, n’ont jamais été destinées à circuler. Sur les huit exemplaires originaux frappés, deux ont été envoyés en Asie dans le cadre de missions commerciales et diplomatiques, tandis que les autres sont restés aux mains de quelques hauts fonctionnaires et collectionneurs privilégiés. Cette origine prestigieuse et confidentielle a immédiatement conféré à la pièce un statut à part.

La légende s’écrit, le marché s’enflamme

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Dès les années 1840, la rumeur de l’existence de cette pièce se répand. Des illustrations commencent à circuler, éveillant l’appétit insatiable des collectionneurs qui ignoraient tout de son existence. La demande explose et, comme souvent dans le monde de la collection, l’offre tente de s’adapter. D’autres variantes voient le jour pour satisfaire ce marché naissant.

Les experts classent aujourd’hui les dollars de 1804 en trois catégories distinctes :

  • Classe I : Les huit originaux frappés en 1834-1835 pour les coffrets diplomatiques.
  • Classe II : Un exemplaire unique, frappé sur une autre pièce vers 1858, dont l’origine reste un mystère.
  • Classe III : Une série de refrappes réalisées dans les années 1850 pour des collectionneurs influents ayant des contacts au sein de la Monnaie américaine.

Au total, seuls 15 exemplaires étaient officiellement répertoriés dans le monde. Jusqu’à aujourd’hui. Un seizième vient de faire surface, issu de la collection secrète d’un certain James A. Stack Sr., un numismate new-yorkais décédé en 1951. La découverte a stupéfié les experts, car la pièce avait totalement disparu des radars depuis plus de 70 ans.

Le trésor caché de Long Island

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James A. Stack Sr. était un collectionneur passionné mais discret. De la fin des années 1930 jusqu’à sa mort, il a arpenté les boutiques spécialisées de Manhattan, notamment le célèbre établissement Stack’s Bowers, pour constituer une collection d’une qualité exceptionnelle. Il recherchait la perfection, couvrant toutes les époques et tous les métaux. Pourtant, son nom était peu connu, et l’existence de son dollar de 1804 était un secret bien gardé.

Cette discrétion explique pourquoi, malgré des décennies de recherches académiques sur le sujet, cet exemplaire n’apparaissait dans aucun registre. Il était un fantôme, caché dans un coffre familial, attendant son heure. Sa redécouverte n’est pas seulement l’ajout d’un numéro à une liste ; c’est un pan d’histoire qui refait surface, avec le récit d’un collectionneur de l’âge d’or de la numismatique.

La pièce qui sera mise en vente par Stack’s Bowers en décembre 2025 est un exemplaire de Classe III. Elle a reçu la note exceptionnelle de PCGS PR65 (Proof) et est considérée comme le plus bel exemplaire de sa catégorie en mains privées. C’est également le seul à avoir été validé par la Certified Acceptance Corporation (CAC), une certification supplémentaire qui garantit sa qualité supérieure sur le marché. Avant la vente, elle sera exposée à la World’s Fair of Money en août 2025, offrant au public une rare occasion d’admirer la légende.

Cette vente s’inscrit dans une tendance de fond où les objets de collection tangibles deviennent des actifs d’investissement majeurs. Dans un contexte économique incertain, l’attrait pour ces trésors historiques ne fait que croître. En 2021, un autre dollar de 1804, de Classe I cette fois, a été vendu pour la somme record de 7,68 millions de dollars, confirmant le statut quasi mythique de cette pièce qui, bien plus qu’un simple dollar, est un concentré d’histoire, de diplomatie et de mystère américain.

Rozenn Allard

Rozenn Allard est une journaliste indépendante spécialisée dans l'enquête sur les mouvements d'extrême droite et les questions de société. Elle a notamment collaboré avec le média d'investigation Mediapart. Son travail se caractérise par une approche de terrain rigoureuse et une analyse en profondeur des idéologies contemporaines.