Faille marine : le secret du séisme de 1755 enfin révélé

Auteur Rozenn Allard
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Le 1er novembre 1755, Lisbonne, l’une des villes les plus riches et cosmopolites d’Europe, était anéantie. Un séisme d’une violence inouïe, suivi d’un tsunami et d’incendies dévastateurs, a non seulement rasé la capitale portugaise mais a aussi ébranlé les fondements de la pensée des Lumières, inspirant à Voltaire son célèbre Poème sur le désastre de Lisbonne. Depuis plus de deux siècles, la cause exacte de cette catastrophe, survenue loin des zones de subduction classiques, restait une énigme géologique. Aujourd’hui, une découverte majeure au fond de l’océan Atlantique lève enfin le voile sur ce mystère.

Des chercheurs de l’Université de Lisbonne ont identifié une fissure sous-marine qui serait directement responsable de ce tremblement de terre historique, ainsi que de celui, plus récent, de 1969. Cette fracture n’est pas une simple faille. Il s’agit de la manifestation d’un phénomène géologique rare et puissant : la délamination lithosphérique. En d’autres termes, la plaque tectonique eurasienne est en train de se peler, de se fendre en deux horizontalement, comme les couches d’un mille-feuille qui se séparent.

Cette zone active se situe à environ 200 kilomètres au sud-ouest des côtes portugaises, près du banc de Gorringe, un mont sous-marin marquant la frontière complexe entre les plaques eurasienne et africaine. Selon l’étude publiée dans la prestigieuse revue Nature Geoscience, ce processus de « pelage » tectonique est à l’œuvre depuis au moins cinq millions d’années. La pression incessante exercée par la plaque africaine qui remonte vers le nord contraint la base de la plaque eurasienne, plus dense, à se détacher et à s’enfoncer dans le manteau terrestre.

« La partie inférieure de la plaque a déjà plongé de manière significative, d’au moins 200 kilomètres en direction du manteau », explique l’un des géologues auteurs de l’étude. « Pendant ce temps, la partie supérieure de la plaque reste dans sa position horizontale initiale. C’est cette discrétion, cette action cachée en profondeur, qui a rendu la fissure impossible à détecter jusqu’à présent par la simple observation des fonds marins. »

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Une menace invisible sous la surface

La confirmation de cette théorie a nécessité plus de huit mois de recherches intensives, combinant des technologies de pointe. Grâce à la tomographie sismique, une sorte d’échographie des profondeurs de la Terre, et à l’enregistrement méticuleux de milliers de secousses sismiques, y compris les plus infimes, les scientifiques ont pu cartographier ce qui se tramait sous le plancher océanique. Ils ont notamment enregistré un grand nombre de petits séismes à des profondeurs de 30 à 40 kilomètres, signature de cette fracturation en cours.

Cette découverte a des implications qui dépassent largement le cadre de la curiosité historique. Elle redéfinit fondamentalement l’évaluation du risque sismique pour toute la région. Si le séisme de 1755 a atteint une magnitude estimée à près de 9 et celui de 1969 une magnitude de 8, c’est la preuve que ce processus lent peut libérer des quantités d’énergie colossales. Le fait que le phénomène soit toujours actif suggère que la menace d’un nouveau « Big One » pour le Portugal, l’Espagne et même le Maroc, est une réalité géologique à intégrer dans les modèles de prévention.

Cela pose des questions cruciales pour l’urbanisme et la protection civile. Les normes de construction à Lisbonne, les infrastructures critiques comme le pont du 25 Avril ou le pont Vasco da Gama, ainsi que les plans d’évacuation en cas d’alerte tsunami, reposent sur des modèles de risque qui devront peut-être être réévalués à la lumière de ce nouveau paradigme. Le danger ne vient pas seulement d’une collision frontale entre plaques, mais d’un effondrement interne, plus insidieux.

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Au-delà de la péninsule ibérique, cette recherche ouvre une nouvelle fenêtre sur la compréhension des séismes dits « intraplaques », ceux qui se produisent mystérieusement au milieu des plaques tectoniques, loin de leurs frontières actives. Le mécanisme de délamination pourrait être la clé pour expliquer d’autres tremblements de terre puissants et inattendus à travers le monde.

Le tremblement de terre de 1755, qui a coûté la vie à environ 40 000 personnes, n’était donc pas un événement aléatoire et isolé. Il était la conséquence la plus dramatique d’une lente mais inexorable bataille géologique qui se joue sous nos pieds. La découverte de cette fissure au fond de l’Atlantique est un rappel puissant que la Terre est un organisme vivant, dont les processus les plus profonds continuent de façonner notre histoire et notre avenir.

Rozenn Allard

Rozenn Allard est une journaliste indépendante spécialisée dans l'enquête sur les mouvements d'extrême droite et les questions de société. Elle a notamment collaboré avec le média d'investigation Mediapart. Son travail se caractérise par une approche de terrain rigoureuse et une analyse en profondeur des idéologies contemporaines.