Norvège : Le plus grand trésor de terres rares d’Europe sous un village

Auteur Nicolas Kayser-Bril
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Ulefoss, un village norvégien de la région du Telemark, pourrait sembler être un havre de paix avec ses 2 000 habitants, ses maisons en bois et ses lacs tranquilles. Pourtant, sous cette quiétude de carte postale se cache un enjeu qui pourrait redéfinir l’équilibre géopolitique et industriel de l’Europe. Des scientifiques ont confirmé que le sous-sol de cette localité abrite le plus grand gisement de terres rares du continent, une découverte qui suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes.

L’accès aux minerais stratégiques est devenu le nerf de la guerre économique du 21e siècle. L’Union Européenne, dans sa quête de souveraineté et de transition écologique, se heurte à une réalité brutale : sa dépendance à 98% envers la Chine pour l’approvisionnement en terres rares. Ces 17 métaux aux noms peu connus – néodyme, praséodyme, dysprosium – sont pourtant indispensables à la fabrication de nos technologies les plus avancées : des aimants permanents des voitures électriques et des éoliennes aux systèmes de guidage militaire, en passant par les puces de nos smartphones.

Dans ce contexte, le gisement d’Ulefoss, niché dans ce que les géologues appellent le complexe de Fen, n’est pas seulement une découverte minière. C’est une potentielle carte maîtresse. Les estimations de la compagnie minière Rare Earths Norway (REN) suggèrent que le site pourrait contenir 8,8 millions de tonnes d’oxydes de terres rares, avec une concentration économiquement viable d’environ 1,5 million de tonnes. Si ces chiffres se confirment, ce gisement seul pourrait satisfaire jusqu’à un tiers des besoins européens projetés, brisant ainsi un quasi-monopole qui donne à Pékin un levier de pression considérable.

Le pari d’une « mine invisible »

Le défi est immense : le trésor se trouve directement sous le centre du village. Comment extraire des millions de tonnes de roche sans raser des maisons, des écoles et défigurer un paysage protégé ? La mémoire collective européenne est marquée par l’exemple de Kiruna, en Suède, où l’exploitation du fer a contraint au déplacement spectaculaire de tout un centre-ville pour éviter l’effondrement.

Pour éviter ce scénario, Rare Earths Norway propose un concept audacieux : la « mine invisible ». L’idée est de creuser un tunnel d’accès en pente à près de 4 kilomètres du village, pour ensuite atteindre le gisement en profondeur. Des foreuses automatisées extrairaient des blocs de minerai de 300 mètres de long sur 50 de large, qui seraient ensuite broyés sous terre et transportés via des convoyeurs vers une usine de traitement en surface, loin des habitations. Une partie des stériles miniers (la roche sans valeur) serait utilisée pour remblayer les cavités, une technique censée minimiser les risques d’affaissement du sol.

Ce projet, qui se veut une vitrine technologique de l’exploitation minière moderne, vise un début d’exploitation pilote dans les prochaines années pour un lancement à grande échelle à l’horizon 2030. C’est un calendrier ambitieux, aligné sur les objectifs du « Critical Raw Materials Act » de l’UE, qui vise à ce que 10% des besoins en matières premières critiques soient extraits sur le sol européen d’ici la fin de la décennie.

L’âme du village face au boom industriel

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Mais à Ulefoss, la perspective de devenir le cœur battant de l’autonomie stratégique européenne ne fait pas l’unanimité. La communauté est partagée entre la peur de la dégradation environnementale et la promesse d’une renaissance économique. Le village a une longue histoire minière qui remonte au 17e siècle, mais la dernière mine a fermé dans les années 1960. Pour certains, ce projet est une chance inespérée de créer des emplois et de redonner un souffle industriel à la région.

Pour d’autres, le prix à payer est trop élevé. Les craintes portent principalement sur l’eau. Plusieurs sites envisagés pour le stockage des résidus miniers se situent près de lacs et de cours d’eau qui sont au cœur de la vie locale et de l’écosystème. « Ces eaux sont sacrées pour nous, surtout à une époque où nous voyons déjà les effets du changement climatique », confiait une résidente aux médias locaux, exprimant une inquiétude partagée par beaucoup.

Le projet met en lumière une tension fondamentale de notre époque : la transition écologique, incarnée par les voitures électriques et les éoliennes, repose sur une intensification de l’activité minière, une industrie historiquement polluante. La question qui se pose à Ulefoss, et par extension à toute l’Europe, est de savoir s’il est possible de mener une exploitation « propre » et respectueuse des communautés locales.

Un enjeu bien au-delà de la Norvège

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La décision finale ne dépendra pas uniquement des autorités norvégiennes. Le projet d’Ulefoss est scruté de près à Bruxelles, Washington et Pékin. Pour la Norvège, pays non-membre de l’UE mais partenaire stratégique, cette découverte renforce sa position de fournisseur d’énergie et de ressources pour le continent. Pour l’Europe, c’est l’opportunité de mettre en pratique son discours sur la « souveraineté industrielle », un concept cher à des dirigeants comme Emmanuel Macron.

Des géants industriels français comme Renault, Valeo ou Safran, tous dépendants des importations de terres rares pour leurs moteurs électriques et leurs composants électroniques, voient dans ce projet une lueur d’espoir pour sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement. Mais alors que le projet avance, les questions restent nombreuses. La technologie de la « mine invisible » tiendra-t-elle ses promesses ? Les bénéfices économiques seront-ils équitablement partagés avec la communauté locale ? Et l’Europe est-elle prête à accepter les impacts environnementaux et sociaux de l’extraction sur son propre sol, après des décennies à les avoir délocalisés ? La réponse qui sera donnée à Ulefoss pourrait bien dessiner le futur industriel du continent.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.