Impôts successions : « Du vol organisé » pour les familles en deuil

La douleur de perdre un proche est une épreuve universelle. Mais pour de nombreuses familles françaises, ce deuil est rapidement suivi d’un choc brutal et financier : celui des droits de succession. Le sentiment d’injustice, résumé par cette phrase souvent entendue dans les études de notaires, « C’est du vol organisé ! », met en lumière une tension profonde au cœur du pacte social français, entre la protection du patrimoine familial et l’impératif de solidarité nationale.
Le cas d’Élisabeth Martin, une retraitée de 70 ans, est emblématique. Après le décès de son époux, elle a découvert l’ampleur de la charge fiscale qui pesait sur l’héritage destiné à ses enfants. « Nous avons travaillé toute notre vie pour bâtir ce petit patrimoine, cette maison où nos enfants ont grandi », confie-t-elle, la voix empreinte d’amertume. « Et voilà qu’une part importante doit partir à l’État. Pourquoi, après avoir payé des impôts toute notre vie, devons-nous encore donner tant au moment où nous sommes le plus vulnérables ? » C’est une question que des milliers de foyers se posent chaque année.
Ce prélèvement, perçu par l’État lors de la transmission d’un patrimoine, n’est pas une simple taxe. Il est l’héritier d’une longue histoire, remontant à la Révolution française, et vise à limiter la constitution de dynasties et à redistribuer les richesses pour financer les services publics. Sur le papier, le principe est celui de l’équité. Dans la réalité, son application est souvent perçue comme punitive.
La mécanique fiscale face à la réalité des patrimoines

La complexité du système fiscal français ajoute à l’incompréhension. L’impôt est calculé sur la valeur nette du patrimoine après déduction des dettes. Pour les transmissions en ligne directe (parents-enfants), un abattement de 100 000 € par enfant est appliqué. Au-delà, un barème progressif s’enclenche, pouvant grimper jusqu’à 45% pour les tranches les plus élevées. Si le conjoint survivant ou le partenaire de PACS est totalement exonéré, ce n’est pas le cas pour les transmissions entre frères et sœurs, ou à des neveux et nièces, où la fiscalité devient rapidement confiscatoire.
Le problème majeur, soulignent les notaires, est que le patrimoine de nombreux Français est « illiquide ». Il est principalement constitué de la résidence principale. Lorsque les droits de succession se chiffrent en dizaines de milliers d’euros, les héritiers n’ont souvent d’autre choix que de vendre le bien familial. « La valeur affective d’une maison ne rentre pas dans les calculs de l’administration fiscale », explique un notaire parisien. « Les héritiers se retrouvent contraints de vendre, non par choix, mais par nécessité pour payer l’impôt dans le délai de six mois imposé par la loi. »
Cette situation est exacerbée par la flambée de l’immobilier des dernières décennies. Un pavillon de banlieue ou une maison de campagne, achetés pour une somme modeste il y a quarante ans, peuvent aujourd’hui représenter un capital qui dépasse largement les abattements, propulsant des familles de la classe moyenne dans des tranches d’imposition élevées, initialement pensées pour les plus fortunés.
Un débat politique et économique qui divise la France

Chaque année, les droits de succession rapportent environ 15 milliards d’euros aux caisses de l’État. Pour les défenseurs de cet impôt, il s’agit d’un outil essentiel de justice sociale. Des économistes comme Thomas Piketty arguent qu’il est l’un des rares leviers pour lutter contre la concentration extrême du capital et garantir une certaine méritocratie. Sans lui, les inégalités de naissance se creuseraient de manière exponentielle, créant une société figée.
À l’opposé, une grande partie de l’échiquier politique, notamment à droite, milite pour un allègement drastique, voire une suppression de cet « impôt sur la mort ». L’argument principal est qu’il taxe un capital qui a déjà été imposé tout au long de la vie (via l’impôt sur le revenu, les taxes foncières, etc.). Il pénaliserait l’épargne, le travail et la volonté de transmettre le fruit d’une vie de labeur à ses enfants.
Au-delà des familles, les conséquences économiques sont réelles. La pression fiscale sur la transmission peut être un frein majeur pour les entreprises familiales. Un dirigeant de PME qui souhaite passer la main à ses enfants peut mettre en péril la trésorerie de l’entreprise si ces derniers doivent s’endetter lourdement pour payer les droits. Dans les territoires ruraux, la vente forcée de biens familiaux peut aussi accélérer la désertification ou modifier le tissu social local en favorisant l’acquisition par des investisseurs extérieurs.
Face à ce casse-tête, le manque d’anticipation est le pire ennemi des familles. Des solutions existent, comme les donations de son vivant, l’assurance-vie ou le démembrement de propriété, mais elles restent méconnues ou perçues comme l’apanage des plus riches. Le débat sur la réforme des droits de succession reste donc une poudrière politique. Il touche à l’intime, à la famille, au travail et à la vision que la France se fait d’elle-même : une société qui encourage la transmission ou une république qui cherche à niveler les destins.