Ce prénom polonais, jadis adulé, est en voie de disparition

Il y a des noms qui semblent gravés dans le marbre d’une époque, des prénoms qui racontent une histoire collective. En Pologne, Maja, Zofia ou Julia dominent aujourd’hui les registres de naissance, des choix modernes, doux et internationaux. Pourtant, dans l’ombre de ces nouvelles tendances, un prénom autrefois omniprésent s’éteint en silence : Wiesława. Un nom qui fut le symbole d’une génération et qui, aujourd’hui, ne séduit quasiment plus personne.
Les chiffres sont d’une clarté brutale. Durant le premier semestre de 2025, aucune petite fille n’a été prénommée ainsi. En 2024, elles n’étaient que deux. Un déclin vertigineux quand on sait que plus de 100 000 femmes portent encore ce prénom en Pologne. Ces femmes, aujourd’hui grands-mères pour la plupart, sont les témoins vivantes d’une popularité massive durant les décennies de la République Populaire de Pologne (PRL), de 1947 à 1989.
L’écho d’une Pologne passée
Pourquoi Wiesława était-il si répandu à cette époque ? Ce prénom, aux racines purement slaves et attesté depuis le XIIIe siècle, résonnait avec une forme de fierté nationale. Dérivé du masculin Wiesław (lui-même issu de Wielisław), il signifie « celui qui désire la gloire » ou « grande gloire ». La terminaison « -sław » (gloire), que l’on retrouve dans de nombreux prénoms historiques polonais (Bolesław, Jarosław), évoquait la grandeur d’une nation au passé glorieux. Dans une période de souveraineté limitée sous l’influence soviétique, donner un prénom si profondément ancré dans l’histoire polonaise était un acte de résistance culturelle discret, une façon de se rattacher à des racines authentiques.
Wiesława, tout comme d’autres prénoms de cette période, représentait une continuité. C’était un prénom sérieux, respectable, qui sonnait familier et patriotique. Il incarnait une certaine vision de la femme polonaise : forte, ancrée dans sa communauté et porteuse des traditions.
Ce phénomène n’est pas unique à la Pologne. En France aussi, des prénoms comme Martine, Chantal ou Bernard ont connu un pic de popularité durant les Trente Glorieuses avant de devenir le marqueur d’une génération et de chuter dans les classements. Chaque pays a ses « prénoms-époques », reflets des aspirations et des valeurs d’un moment précis de son histoire.
La rupture des années 90 et l’appel de l’international

La chute du Mur de Berlin et l’ouverture de la Pologne à l’Ouest au début des années 90 ont marqué une rupture sociologique profonde, qui s’est immédiatement reflétée dans le choix des prénoms. La génération qui a grandi derrière le rideau de fer a souhaité autre chose pour ses enfants. Elle a aspiré à la modernité, à la mondialisation, à des opportunités sans frontières. Un prénom comme Wiesława, avec ses consonnes dures et sa sonorité typiquement slave, a soudain paru daté, presque provincial.
Les parents ont commencé à privilégier des prénoms plus courts, plus universels, faciles à prononcer à Londres, Paris ou Berlin. Julia, Maja, Olivier, Jakub… Ces choix signaient l’entrée de la Pologne dans une Europe culturelle et économique unifiée. C’était une manière symbolique d’offrir à sa progéniture un passeport pour le monde, de la délester du poids d’un passé parfois lourd à porter.
Cette transition révèle une dynamique de pouvoir subtile : le passage d’une identité définie par l’héritage national à une identité plus fluide, européenne et globale. Le prénom n’est plus seulement un héritage, il devient un outil pour l’avenir. Wiesława, avec sa « gloire » passée, ne semblait plus adapté aux ambitions nouvelles.
Un prénom peut-il renaître ?

Aujourd’hui, le prénom est associé à des traits de caractère comme l’optimisme, la créativité et l’extraversion. Les Wiesława sont souvent décrites comme des personnes sociables, à l’aise en équipe et dotées d’une grande imagination. Des personnalités connues comme la journaliste Wiesława Kwiatkowska ou la chanteuse Wiesława Sós ont porté ce nom sur la scène publique.
Malgré sa riche histoire et sa signification puissante, le prénom semble condamné à n’être plus qu’un souvenir. Mais les modes sont cycliques. En France, des prénoms jugés désuets il y a vingt ans, comme Marcel, Augustine ou Léonie, connaissent un retour en grâce spectaculaire. Les jeunes parents, en quête d’originalité et d’authenticité, se tournent vers le passé pour y puiser l’inspiration.
Wiesława, ou peut-être son charmant diminutif Sława, pourrait-il connaître un tel sort ? Il est peut-être encore trop tôt. Le souvenir de l’époque PRL est encore trop présent, et les prénoms qui y sont fortement associés pourraient nécessiter une génération de plus pour perdre leur connotation politique et être réévalués pour leur seule sonorité. L’histoire de Wiesława est celle d’un miroir tendu à la société polonaise : une histoire de mémoire, de rupture et de la manière dont une nation se redéfinit, un prénom à la fois.