Géorgie : une mâchoire de 1,8 million d’ans découverte

Auteur Rozenn Allard
gyorgie une mychoire de 18 million dans dycouverte

C’est une découverte qui, une fois de plus, place le Caucase au centre de la grande histoire de l’humanité. Sur le site d’Orozmani, en Géorgie, à environ 100 kilomètres au sud-ouest de la capitale Tbilissi, des archéologues ont mis au jour une mâchoire humaine (plus précisément une mandibule) datée de 1,8 million d’années. Cette pièce, appartenant à un lointain ancêtre, vient renforcer l’idée que cette région fut l’une des toutes premières terres d’accueil pour les hominidés ayant quitté le continent africain.

L’annonce, bien que relayée par les agences de presse, mérite qu’on s’y attarde. Car ce fragment d’os n’est pas un fossile isolé. Il s’inscrit dans un contexte archéologique d’une richesse exceptionnelle qui bouscule depuis près de trois décennies notre vision des premières migrations humaines. Le site d’Orozmani est en effet le voisin direct de Dmanisi, un nom qui résonne avec force dans le monde de la paléoanthropologie. C’est à Dmanisi, à seulement 20 kilomètres de distance, qu’ont été découverts à la fin des années 1990 et au début des années 2000 plusieurs crânes d’Homo erectus, également datés de 1,8 million d’années. Ces fossiles, surnommés Zezva et Mzia, avaient alors prouvé que nos ancêtres avaient atteint les portes de l’Europe bien plus tôt qu’on ne l’imaginait.

Un « corridor caucasien » pour les premiers Européens

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La découverte d’Orozmani, qui fait suite à la mise au jour d’une dent humaine sur le même site en 2022, transforme une hypothèse en quasi-certitude : la région n’était pas un simple point de passage, mais un véritable foyer de peuplement durable. « Orozmani, avec Dmanisi, représente le centre de la plus ancienne distribution d’hominidés – ou d’humains primitifs – dans le monde en dehors de l’Afrique », explique Giorgi Bidzinashvili, le directeur scientifique des fouilles. Cette concentration de fossiles suggère l’existence d’une population stable, installée dans un environnement propice sur une longue période.

Mais à quoi ressemblait la vie de ces pionniers ? Les autres découvertes faites sur le site nous aident à peindre un tableau saisissant. Aux côtés des restes humains, les chercheurs ont exhumé des fossiles d’animaux aujourd’hui disparus de la région : des tigres à dents de sabre, des éléphants de type méridional, des loups, des girafes et des cerfs. La présence de ces espèces indique un écosystème de savane arborée, riche en ressources, un paysage bien plus proche de certaines plaines africaines que des montagnes géorgiennes actuelles. C’est dans ce décor que les Homo erectus ont évolué, chassant et se protégeant de prédateurs redoutables.

La présence de nombreux outils en pierre de type Oldowan, la plus ancienne industrie lithique connue, confirme leur ingéniosité. Ces outils simples mais efficaces – des galets aménagés pour trancher la viande ou casser des os – témoignent de leur capacité à s’adapter et à exploiter leur environnement. Ils n’étaient pas des voyageurs perdus, mais des colons organisés, capables de s’implanter durablement dans un nouveau monde.

Redessiner la carte de nos origines

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Cette découverte a des implications profondes qui vont bien au-delà de la Géorgie. Elle alimente un débat scientifique majeur : la sortie d’Afrique fut-elle un événement unique, une grande vague migratoire, ou une succession de petites vagues, voire un flux plus complexe de va-et-vient entre les continents ? La présence d’une population si ancienne et bien établie dans le Caucase pourrait suggérer que cette région a servi de base arrière, un point d’ancrage à partir duquel d’autres migrations vers l’Asie et l’Europe ont pu s’organiser sur des milliers d’années.

Pour les chercheurs européens, notamment en France et en Espagne où se trouvent les plus anciens sites d’occupation humaine du continent (comme Atapuerca en Espagne, daté de 1,2 million d’années), la question est cruciale. Les Homo erectus de Géorgie sont-ils les ancêtres directs des premiers Européens ? Ou représentent-ils une branche cousine qui s’est éteinte sans descendance ? L’analyse détaillée de cette nouvelle mâchoire pourrait apporter des éléments de réponse. Sa morphologie, comparée à celle des fossiles de Dmanisi et à d’autres spécimens africains et asiatiques, permettra de mieux comprendre la diversité au sein de l’espèce Homo erectus et les liens de parenté entre les différentes populations.

Les recherches à Orozmani ne font que commencer. L’équipe internationale espère que les prochaines campagnes de fouilles permettront de mettre au jour d’autres parties du squelette, voire un crâne, qui offrirait une quantité d’informations inestimables. Chaque fragment d’os, chaque éclat de silex est une pièce d’un immense puzzle. Et ce puzzle, qui raconte comment nous avons conquis le monde, a désormais l’un de ses principaux foyers dans les terres fertiles du sud du Caucase, confirmant que les portes de l’Europe se sont ouvertes bien plus tôt et bien plus près de l’Asie qu’on ne l’avait jamais pensé.

Rozenn Allard

Rozenn Allard est une journaliste indépendante spécialisée dans l'enquête sur les mouvements d'extrême droite et les questions de société. Elle a notamment collaboré avec le média d'investigation Mediapart. Son travail se caractérise par une approche de terrain rigoureuse et une analyse en profondeur des idéologies contemporaines.