Argentine : la découverte d’une rivière d’or enflamme le pays

Auteur Nicolas Kayser-Bril
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Une nouvelle fièvre de l’or s’empare de l’Argentine, ravivant des mythes que l’on croyait endormis. Au cœur des montagnes, des rumeurs persistantes parlent d’une rivière charriant des pépites par centaines, une découverte qui attire aventuriers, touristes et, de plus en plus, des citoyens ordinaires en quête d’un eldorado pour échapper à une économie en crise. Ce phénomène, bien que localisé, jette une lumière crue sur les espoirs et les tensions d’un pays en pleine tourmente.

Le point de départ de cette effervescence se trouve à La Carolina, un village pittoresque de la province de San Luis, niché au pied du mont Tomolasta. Fondée au XVIIIe siècle, cette localité de 300 âmes conserve une âme minière authentique. Mais c’est le Río Amarillo, la « Rivière Jaune », qui concentre aujourd’hui tous les fantasmes. Ses eaux, dit-on, cachent encore des fragments du précieux métal, vestiges d’anciennes veines exploitées par les jésuites puis les pionniers.

Ce qui était autrefois une attraction touristique, où l’on pouvait s’initier à l’orpaillage pour quelques pesos, prend une tout autre dimension. La recherche de l’or n’est plus seulement un loisir. Dans un pays où l’inflation annuelle dépasse les 200 %, et où la monnaie nationale se dévalue à vue d’œil, chaque gramme d’or représente une ancre, une valeur refuge tangible face au chaos financier.

Une réponse désespérée à la crise économique

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Pour comprendre l’ampleur de cette ruée moderne, il faut regarder au-delà du folklore. L’Argentine traverse une crise économique parmi les plus sévères de son histoire. L’épargne en pesos s’évapore, et l’accès au dollar, l’autre refuge traditionnel, est strictement contrôlé et son cours sur le marché parallèle est prohibitif. Dans ce contexte, la promesse de trouver de l’or, même en infime quantité, devient une stratégie de survie.

La technique est ancestrale et rudimentaire : la batée, cette grande écuelle conique que l’on plonge dans le courant pour séparer par gravité les sédiments les plus lourds, dont l’or. C’est un travail de patience et d’abnégation. L’activité est légale lorsqu’elle est pratiquée de manière artisanale, sans machinerie lourde, ce qui ouvre la porte à un grand nombre de personnes. Mais cette tolérance pourrait vite atteindre ses limites si le nombre de chercheurs d’or venait à exploser, transformant des cours d’eau en zones de compétition acharnée.

Les experts économiques voient dans ce phénomène un symptôme de la dollarisation informelle de l’économie. Quand la monnaie officielle ne remplit plus sa fonction de réserve de valeur, les citoyens se tournent vers des actifs alternatifs. L’or, anonyme et universellement accepté, est l’un des plus anciens. Ce n’est pas tant la quête de la richesse subite qui motive la plupart, mais plutôt la recherche d’une sécurité élémentaire que l’État ne peut plus garantir.

L’écho de l’histoire et les risques écologiques

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Cette fièvre n’est pas un phénomène isolé. D’autres régions du pays connaissent un regain d’intérêt pour leurs ressources aurifères. Chaque lieu a sa propre histoire et ses propres défis :

  • Le fleuve Chacal (province de San Juan) : Connu pour son passé minier, il attire des orpailleurs locaux qui connaissent les secrets de ses alluvions.
  • Le Massif du Deseado (province de Santa Cruz) : Au cœur de la Patagonie, cette vaste région géologique recèle un potentiel aurifère important, attirant des prospecteurs plus organisés.
  • Les rivières Azul et Kemkemtreu (province de Río Negro) : Près d’El Bolsón, ces cours d’eau sont le terrain de jeu de familles et d’amateurs, mêlant tourisme et recherche de trésors.
  • Les rivières de montagne de Córdoba : Moins connues, elles voient une activité discrète mais constante, loin des projecteurs.

Cependant, cette ruée vers l’or n’est pas sans danger. L’histoire des Amériques est jalonnée de drames sociaux et environnementaux liés à l’extraction de l’or. Un afflux massif et désorganisé d’orpailleurs pourrait rapidement dégrader les écosystèmes fluviaux, même avec des méthodes artisanales. Le piétinement des berges, la modification des lits des rivières et le risque de contamination, notamment par le mercure si des méthodes plus intensives étaient utilisées illégalement, sont des menaces réelles.

Pour l’instant, le village de La Carolina tente de capitaliser sur cet engouement, notamment via son « Festival provincial de l’Or et de l’Eau » en janvier. Mais derrière l’image d’Épinal du chercheur d’or solitaire se profile une question plus profonde : cette quête est-elle une bouée de sauvetage pour une population aux abois ou le prélude à de nouveaux conflits pour l’accès aux ressources ? La réponse dépendra de la capacité des autorités à encadrer ce phénomène, un défi de taille pour un État déjà fragilisé.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.