Alès : une mosaïque romaine quasi intacte sort de terre

C’est une histoire que les archéologues rêvent de vivre. Sur une colline du sud de la France, un terrain destiné à la construction de logements est devenu le théâtre d’une découverte majeure. Sous les strates de terre et de temps, une mosaïque romaine d’une conservation exceptionnelle a été mise au jour, révélant un pan méconnu de la vie urbaine dans l’antique Gaule. Un trésor qualifié de « valeur muséale » qui force à repenser l’histoire de la ville d’Alès.
L’intervention s’est déroulée sur la colline de l’Ermitage, un site qui domine la ville d’Alès dans le Gard. Entre février et juin derniers, une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), dirigée par l’archéologue Olivier Minot, menait ce que l’on appelle une fouille préventive. Il s’agit d’une procédure standard en France avant tout projet d’aménagement, un dernier regard scientifique avant que les bulldozers ne transforment le paysage. Mais cette routine s’est rapidement muée en une expédition archéologique d’envergure sur plus de 3700 mètres carrés.
Les premières semaines ont révélé des vestiges significatifs : plusieurs habitations, certaines taillées à même la roche, des fondations de bâtiments, des canalisations et une infrastructure hydraulique d’une grande complexité. Le point culminant fut la découverte de cette mosaïque, presque intacte, dans la pièce principale de ce qui s’apparente à une domus, une résidence urbaine cossue appartenant à une riche famille gallo-romaine.
La splendeur d’une demeure antique
La mosaïque elle-même est un témoignage direct du statut de ses propriétaires. S’étendant sur 4,5 par 3,8 mètres, elle est composée de tesselles blanches, noires et rougeâtres formant des motifs géométriques sophistiqués. Ce qui a particulièrement intrigué les experts, c’est la probable utilisation de cinabre, un pigment coûteux dérivé du mercure, pour obtenir la teinte rouge. L’usage d’un tel matériau était un luxe rare, un signe ostentatoire de richesse qui connectait cette demeure d’Alès aux grands réseaux commerciaux de l’Empire.
L’architecture de la domus raconte une histoire d’évolution. Les murs, faits de pierre et de terre, sont typiques de l’époque républicaine. Initialement, les sols étaient en terre battue. Plus tard, dans une seconde phase d’occupation, ils ont été rehaussés par des carrelages et, dans la pièce d’apparat, par cette somptueuse mosaïque. Un rectangle sombre sur le côté gauche est interprété par les archéologues comme le seuil d’une autre pièce, suggérant une demeure aux volumes généreux. Le fait que des traces de couleur subsistent sur certaines tesselles après deux millénaires est une prouesse de conservation qui a stupéfié l’équipe.
Au-delà de l’esthétique, le site révèle le pragmatisme et le génie technique des habitants. Les maisons, creusées dans le calcaire, étaient enduites d’argile pour l’étanchéité. Sous les sols, une couche de rudus, un mélange de fragments de pierre et de chaux, assurait un drainage efficace. Mais l’élément le plus surprenant est sans doute le système d’évacuation des eaux de pluie : les bâtisseurs ont réutilisé des amphores, découpées et assemblées, pour créer une canalisation. Ce « système D » antique témoigne d’une planification ingénieuse et d’une gestion économique des ressources.
Un mille-feuille historique sur la colline de l’Ermitage

Cette découverte romaine n’est que la couche la plus spectaculaire d’un site à l’histoire extraordinairement dense. La colline de l’Ermitage est un véritable palimpseste, où chaque époque a laissé sa trace. Dans la partie sud du terrain, les archéologues ont mis au jour une dizaine de sépultures, bien plus tardives, datant probablement des Ve et VIe siècles. Ces tombes modestes, sans mobilier funéraire, pourraient correspondre à des pratiques de la fin de l’Antiquité ou du début du christianisme.
Plus tard encore, au Moyen Âge, des moines Augustins y ont érigé une chapelle, sacralisant un lieu déjà chargé d’histoire. Enfin, du XVIe au XVIIIe siècle, l’homme a transformé les pentes en faïsses, ces terrasses agricoles caractéristiques du paysage cévenol. Chaque strate de terre raconte ainsi une phase de l’occupation humaine, de la métropole romaine à l’exploitation agricole moderne.
Ce n’est d’ailleurs pas une première sur cette colline. En 2008, c’est à cet endroit même qu’avait été découvert ce qui reste à ce jour le plus grand pavement de mosaïque de France, datant de l’époque de Jules César. La répétition de telles découvertes suggère que la colline de l’Ermitage n’était pas un quartier périphérique, mais vraisemblablement un secteur résidentiel très prisé de l’élite locale.
Quel avenir pour ce patrimoine ?

Cette trouvaille vient confirmer le rôle stratégique d’Alès à l’époque romaine, un carrefour commercial actif entre la province de la Gaule Narbonnaise et l’axe majeur de la vallée du Rhône. Mais elle pose aussi une question cruciale, au cœur des enjeux de l’archéologie préventive : que faire maintenant ? Le projet immobilier est en suspens, confronté à la responsabilité de préserver un patrimoine d’une telle importance.
La municipalité d’Alès a déjà manifesté son intérêt pour trouver un lieu de conservation et d’exposition permanent. La possibilité de déplacer la mosaïque pour la restaurer et la présenter au public est à l’étude. Cette découverte pourrait ainsi devenir un nouvel atout pour le patrimoine archéologique de la région, attirant un tourisme culturel avide de comprendre ce passé enfoui.
Comme le souligne Olivier Minot, la fin de la fouille n’est pas une conclusion, mais le début d’un nouveau chapitre. La découverte soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses sur l’organisation de la ville antique, son étendue réelle et son rôle précis dans l’économie du sud de la Gaule. Le sol d’Alès n’a pas encore livré tous ses secrets.