Antarctique : des micro-organismes accélèrent la fonte

Auteur Nicolas Kayser-Bril
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L’immensité blanche et silencieuse de l’Antarctique n’est pas aussi inerte qu’on pourrait le croire. Sous sa surface d’une pureté apparente, une vie microscopique s’épanouit, et ses conséquences sont tout sauf négligeables. Une étude récente révèle que de minuscules organismes, des algues des neiges, jouent un rôle bien plus important que prévu dans l’accélération de la fonte des glaces, un facteur jusqu’ici sous-estimé dans les modèles climatiques qui façonnent notre avenir.

Cette découverte, qui pourrait avoir des répercussions majeures sur les prévisions de l’élévation du niveau de la mer, provient d’une analyse fine menée par une équipe dirigée par le Dr Liang Dong de l’Académie des sciences de Chine. En utilisant des données satellites à haute résolution du programme européen Copernicus (Sentinel-1 et Sentinel-2), les chercheurs ont scruté les plateformes de glace Brunt et Riiser-Larsen entre 2019 et 2022. Ce qu’ils y ont observé n’est pas seulement une curiosité biologique, mais un puissant mécanisme climatique.

Ces algues microscopiques, en proliférant, colorent la neige de teintes vertes ou rougeâtres. Si le spectacle peut sembler poétique, son effet physique est implacable. La neige blanche immaculée a un albédo élevé, c’est-à-dire qu’elle réfléchit jusqu’à 80% du rayonnement solaire. Les efflorescences d’algues, en assombrissant la surface, font chuter cet albédo. La neige absorbe alors davantage de chaleur, ce qui déclenche une fonte accélérée.

« Cela crée une boucle de rétroaction », explique le Dr Liang. « Plus d’algues signifie plus de fonte, et plus de fonte peut créer des conditions plus favorables à leur croissance. » L’eau de fonte libère en effet des nutriments et offre un milieu liquide propice à la multiplication des algues. Chaque élément du système renforce l’autre dans un cycle qui s’auto-entretient, transformant ces organismes en véritables catalyseurs de la fonte.

Un accélérateur biologique inattendu

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L’une des révélations les plus importantes de l’étude est le timing de ce phénomène. Les analyses ont montré que les proliférations d’algues apparaissent de manière significative dès le début de la saison de fonte, bien avant que les températures n’atteignent leur pic estival. En d’autres termes, ces algues ne sont pas une simple conséquence de la chaleur ; elles sont un agent actif qui prépare et amplifie la fonte à venir. Elles donnent en quelque sorte le « coup d’envoi » de la saison de fonte, rendant la glace beaucoup plus vulnérable aux températures plus élevées qui suivront.

Le choix des zones d’étude, notamment la plateforme de glace Brunt, n’est pas anodin. C’est une région du continent antarctique sous haute surveillance, connue pour sa dynamique instable et le vêlage d’icebergs gigantesques, comme l’iceberg A-81 en 2023. Lier l’activité biologique de surface à la dynamique de ces plateformes de glace flottantes, qui agissent comme des verrous retenant les glaciers terrestres, ouvre une nouvelle perspective. Si leur surface fond plus vite, cela pourrait-il à terme fragiliser leur structure et accélérer leur dislocation ? La question est désormais posée.

Ce phénomène n’est pas exclusif à l’Antarctique. Des processus similaires sont observés au Groenland, où la « neige noire » et les algues glaciaires contribuent déjà de manière significative à la fonte de la calotte glaciaire de l’hémisphère nord. La confirmation de son importance en Antarctique suggère qu’il s’agit d’un facteur global, un acteur biologique de la crise climatique qui opère aux deux pôles de la planète.

Des implications planétaires et des zones d’ombre

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L’impact le plus direct de cette recherche concerne les modèles climatiques. Pendant des décennies, la cryosphère a été modélisée principalement à travers des lentilles physiques et chimiques. L’intégration de ces processus biologiques complexes est un défi, mais elle devient indispensable. Les projections actuelles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pourraient sous-estimer la vitesse de la fonte en ne tenant pas pleinement compte de cet accélérateur biologique.

Pour l’Europe, et en particulier pour des pays comme la France avec ses vastes territoires côtiers, ou les Pays-Bas, dont une partie se situe sous le niveau de la mer, une fonte antarctique plus rapide que prévu n’est pas une question abstraite. Elle se traduit par une révision à la hausse des risques de submersion marine et d’érosion côtière, obligeant à repenser les stratégies d’adaptation à long terme.

Cependant, l’étude révèle aussi la complexité du système. Les chercheurs ont noté que la croissance des algues ralentit en fin de saison, même lorsque les températures restent élevées. Cela suggère que d’autres facteurs, comme la disponibilité des nutriments ou l’exposition aux rayons ultraviolets, entrent en jeu et limitent leur prolifération. Comprendre ces facteurs limitants est crucial pour prédire jusqu’où cette boucle de rétroaction peut s’emballer.

En définitive, cette étude nous force à voir les pôles non plus comme de simples déserts de glace, mais comme des écosystèmes complexes et vivants, où le microscopique a le pouvoir d’influencer le planétaire. La couleur qui vient tacher la blancheur de l’Antarctique est un rappel visible que dans la mécanique du climat, chaque détail compte.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.