Créer un Carnet de Voyage Qui Dure : Le Guide du Relieur Débutant (Sans Se Ruiner)
Je me souviens encore de mon premier voyage en solo. J’étais parti avec un simple cahier à spirales, un peu comme à l’école. J’y collais mes tickets de train et des photos Polaroïd avec du Scotch de bureau, super fier de mon coup. Quelques années plus tard… le drame. Les pages étaient jaunies, la colle avait viré au marron et les photos se décollaient tristement. Mes souvenirs étaient là, mais ils partaient en lambeaux.
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Franchement, c’est cette petite déception qui m’a poussé à me plonger dans la reliure. Je voulais créer des objets qui tiennent la route, des gardiens solides pour nos histoires les plus précieuses.
Aujourd’hui, je passe mes journées dans mon atelier et je vois plein de gens comme vous, pleins d’envie de créer leur propre carnet. L’enthousiasme est là, mais il manque souvent quelques bases techniques pour éviter les catastrophes. Mon but ? Vous donner les clés pour faire les bons choix, pour que votre prochain carnet protège vos souvenirs au lieu de les laisser s’abîmer.

Alors, on va parler papier, colle, fil, et techniques simples mais solides. C’est parti !
1. Le nerf de la guerre : choisir les bons matériaux
On a tendance à se focaliser sur l’esthétique, mais en réalité, la durée de vie de votre carnet dépend à 90% du choix de vos matériaux. Un mauvais papier ou une colle bas de gamme peuvent littéralement détruire vos photos et vos écrits en moins de dix ans. C’est une simple question de chimie.
L’ennemi n°1 : l’acidité
Le grand méchant de l’histoire, c’est l’acide. La plupart des papiers industriels (pensez au papier journal ou aux cahiers d’écolier premier prix) sont faits avec de la pulpe de bois qui contient de la lignine. Avec le temps, la lumière et l’air, cette lignine se dégrade et libère de l’acide. C’est lui qui fait jaunir le papier, le rend cassant et peut même « brûler » chimiquement vos photos.

C’est pour ça que vous entendrez toujours les pros parler de matériaux « sans acide » (on dit aussi à pH neutre). C’est le critère non négociable. Cherchez systématiquement cette mention sur vos papiers, cartons et même votre colle. C’est la base de tout.
Le papier : une question de poids et de feeling
Le poids du papier, c’est son grammage (en g/m²). Le bon choix dépend de ce que vous voulez faire :
- 80-100 g/m² : C’est le papier d’imprimante de bonne qualité. Idéal pour écrire au stylo-bille ou au crayon, mais attention, l’encre des stylos-plume ou des feutres risque de baver ou de traverser. Parfait pour un journal de bord simple.
- 120-160 g/m² : Pour moi, c’est le choix polyvalent par excellence. Assez épais pour y coller des photos, dessiner et utiliser la plupart des stylos sans souci. C’est ce que je recommande pour un carnet de voyage mixte.
- 200-300 g/m² : Là, on entre dans la catégorie des artistes. C’est un papier conçu pour les techniques humides comme l’aquarelle. Super si vous peignez, mais le carnet sera forcément plus épais et plus rigide.
Au-delà du poids, un papier 100% coton est le top du top en termes de durabilité, mais il est aussi plus cher. Un bon papier à base de cellulose sans acide est un excellent compromis pour démarrer.

La colle : l’alliée de vos souvenirs
Oubliez le bâton de colle de votre enfance et le ruban adhésif. Ils sont acides et ne tiennent pas dans le temps. Voici les options sérieuses :
- La colle PVA (acétate de polyvinyle) : C’est la colle blanche des relieurs. Prenez IMPÉRATIVEMENT une version à pH neutre. Elle est forte, reste souple en séchant et ne jaunit pas. On l’applique en fine couche avec un pinceau plat.
- Les coins photo : Si vous voulez pouvoir retirer vos photos un jour, c’est la meilleure méthode. On les trouve en papier ou en Mylar (un plastique stable et sûr).
- Le double-face de qualité archive : Pratique pour des montages rapides, mais vérifiez qu’il porte la mention « acid-free » ou « PAT » (Photographic Activity Test).
Petit conseil d’atelier : j’ai fait l’erreur une fois d’utiliser une colle vinylique standard sur un projet perso. Cinq ans après, une vilaine tache jaune était apparue à travers le papier. Une leçon apprise dans la douleur. Ne faites pas de compromis sur la colle !

2. Se lancer : la liste de courses et le premier projet
Ok, mais on trouve ça où, tout ce matériel ? Et ça coûte combien ? Pas de panique, c’est plus simple et moins cher qu’on ne l’imagine.
La liste de courses du relieur débutant
Vous trouverez la plupart de ces articles dans les magasins de beaux-arts et de loisirs créatifs (comme Rougier & Plé, Boesner) ou sur des boutiques en ligne spécialisées.
- Un plioir en os ou en téflon : L’outil magique pour des plis parfaits. (Budget : entre 5€ et 15€)
- Un pot de colle PVA à pH neutre : L’investissement le plus important. (Budget : environ 8€ – 12€)
- Une bobine de fil de lin poissé : La cire protège le fil et l’aide à bien tenir. (Budget : 7€ – 10€ la bobine, qui vous durera une éternité)
- Une aiguille à relier (ou de tapissier) et un poinçon : Pour percer et coudre. (Budget : quelques euros pour le lot)
- Quelques grandes feuilles de papier 120g/m² :(Budget : environ 0,50€ à 1€ la feuille)
Pour moins de 40€, vous avez un kit de base qui vous servira pour des dizaines de projets.

Votre premier carnet : la piqûre à 3 trous
Coudre son premier carnet, c’est hyper satisfaisant. La méthode la plus simple est la « piqûre à cahier ». C’est parfait pour un petit carnet de 20 à 40 pages.
Une fois le matériel prêt, comptez environ 30 à 45 minutes pour votre premier essai. C’est le projet parfait pour une soirée tranquille.
Les étapes sont simples :
- Pliez vos feuilles en deux pour former un « cahier ». Pour un pli bien net, utilisez votre plioir ! Créez d’abord une rainure avec la pointe le long d’une règle, puis pliez. Ça change tout.
- Ouvrez votre cahier avec sa couverture. Marquez 3 points dans le pli : un au centre, et les deux autres à 2-3 cm des bords.
- Percez ces 3 trous avec votre poinçon à travers toutes les épaisseurs.
- Coupez un fil (un peu plus de 2 fois la hauteur du carnet), enfilez votre aiguille.
- Le parcours du fil est un peu abstrait à décrire, mais l’idée est de passer par le milieu, puis le haut, puis le bas, et de revenir par le milieu pour faire un nœud à l’intérieur.
Astuce : Le plus simple est de taper « piqûre à cahier » ou « pamphlet stitch » sur YouTube. Une vidéo de 2 minutes vous montrera le geste bien mieux que mille mots !

3. Un peu d’inspiration : quel style pour votre carnet ?
Il n’y a pas qu’une seule façon de relier un livre. S’inspirer de différentes traditions peut donner une âme particulière à votre projet. Voici un petit tour d’horizon pour vous aider à choisir.
Petit comparatif des styles de reliure :
Reliure Copte (Traditionnelle)
- Difficulté : 3/5
- Ouverture à plat : Oui, parfaite (180°)
- Idéal pour : Le dessin, l’aquarelle sur double page, les carnets épais. La couture sur le dos est visible et très esthétique.
Reliure Japonaise (4 trous)
- Difficulté : 2/5
- Ouverture à plat : Non, partielle.
- Idéal pour : Les portfolios de photos, les présentations. On travaille sur feuilles simples, pas sur cahiers pliés. Très graphique et minimaliste.
Piqûre à Cahier (La nôtre !)
- Difficulté : 1/5
- Ouverture à plat : Assez bonne.
- Idéal pour : Les débutants, les petits carnets, les journaux de voyage courts, les carnets de notes. Rapide et solide.
4. Gérer les galères et les imprévus
Même avec la meilleure volonté du monde, on rencontre parfois des petits soucis. Voici les plus courants et comment les régler.

L’ennemi juré : les « bombes à retardement » chimiques
Pour que votre carnet dure, évitez d’y coller n’importe quoi. Certains objets sont de vraies bombes à retardement pour le papier :
- Tickets de caisse et reçus : Ils sont souvent imprimés sur du papier thermique. Faites le test : prenez un ticket de caisse dans votre portefeuille et frottez-le avec l’ongle. Ça noircit ? C’est du papier thermique, l’ennemi juré de vos souvenirs ! L’encre s’efface et le papier noircit. La solution : scannez-les ou photocopiez-les sur du bon papier.
- Coupures de journaux : Extrêmement acide. Il va jaunir et contaminer les pages autour. Même combat : on photocopie.
- Agrafes et trombones en métal : Ils vont rouiller et laisser des marques horribles. On les enlève systématiquement.
Astuce de pro : Pour un souvenir vraiment fragile, glissez-le dans une petite pochette en plastique de type polypropylène (les pochettes transparentes pour classeur de bonne qualité) que vous pouvez ensuite intégrer à votre page. Ça l’isole complètement.

Dépannage rapide : les erreurs classiques
- Mes pages gondolent après collage ! C’est que vous avez mis trop de colle. Une couche très fine suffit. Une fois votre photo collée, placez une feuille de papier buvard ou de papier cuisson de chaque côté et mettez la page sous une pile de gros livres pendant quelques heures.
- Mon carnet gonfle et ne ferme plus… Ah, le carnet qui « fait la gueule » ! C’est normal si vous collez beaucoup de choses épaisses. La technique avancée consiste à ajouter des « onglets de compensation » (des petites bandes de papier) près de la reliure pour compenser l’épaisseur. Pour une solution simple, prévoyez une fermeture avec un élastique ou un ruban !
Votre carnet, un objet vivant et unique
Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » façon de faire. Mais il y a des méthodes qui durent et d’autres qui sont éphémères. Le plus important est de commencer.

Commencez simple. Achetez un carnet de bonne qualité si vous n’osez pas vous lancer, mais investissez dans de la colle d’archive et des coins photo. Puis, un jour, essayez de coudre un petit cahier. Vous verrez, la satisfaction de tenir entre les mains l’objet qui va accueillir vos souvenirs est immense.
Votre carnet de voyage n’a pas besoin d’être un chef-d’œuvre de musée. Il doit juste être solide, honnête et fidèle à vous-même. Et ça, c’est le plus bel écrin que vous puissiez offrir à vos aventures.
Galerie d’inspiration


Le papier fabriqué à partir de pulpe de bois non traitée peut perdre plus de 90% de sa solidité en moins de 100 ans.
C’est pourquoi le choix d’un papier sans acide, souvent à base de coton ou de pulpe alpha-cellulose, n’est pas un détail de puriste. C’est l’assurance que les pages que vous touchez aujourd’hui ne se transformeront pas en poussière pour la prochaine génération qui les découvrira.

L’encre de votre stylo est aussi importante que le papier. Pour éviter que vos écrits ne s’estompent ou ne bavent au contact de l’humidité, optez pour des feutres à encre pigmentée et archivistique. Les gammes Pigma Micron de Sakura ou Pitt Artist de Faber-Castell sont des valeurs sûres, utilisées par les illustrateurs et archivistes pour leur résistance à l’eau et à la lumière.

- Un plioir en os (ou en Téflon) pour marquer des plis nets.
- Une alêne ou un poinçon pour percer les trous de couture.
- Du fil de lin poissé qui glisse sans abîmer le papier et se maintient en place.
Le secret du débutant ? C’est tout ce dont vous avez besoin. Nul besoin d’investir dans une presse hors de prix pour commencer. Ces trois outils de base changent radicalement la qualité et la solidité de votre reliure.

Comment faire en sorte que mon carnet s’ouvre bien à plat ?
C’est le Graal du carnet de voyage ! Pour y parvenir, oubliez la reliure à cheval (type brochure) et explorez la couture Copte. Cette technique de reliure apparente laisse le dos flexible, permettant une ouverture parfaite à 180°. Idéale pour écrire ou dessiner sur une double page sans être gêné par la pliure centrale.

La colle blanche PVA : C’est la colle des relieurs. Flexible, durable et transparente au séchage. Cherchez la mention


Le sens des fibres du papier est un détail technique qui fait toute la différence. Pliez toujours vos pages parallèlement au sens des fibres pour obtenir un pli net et éviter que le papier ne

La plupart des washi tapes, ces jolis rubans décoratifs japonais, ne sont pas conçus pour être permanents et contiennent de l’acide.
Utilisez-les pour leur esthétique, mais ne comptez pas sur eux pour fixer des éléments importants comme des photos ou des tickets. Pour cela, privilégiez toujours les coins photo ou une colle d’archivage. Le washi tape est un embellissement, pas un adhésif de fixation.

Envie de créer des pochettes pour garder vos billets de train ou des cartes postales ?
- Utilisez des enveloppes en papier glassine : semi-transparentes et sans acide, elles protègent tout en laissant deviner le contenu.
- Pliez une page décorative en deux et ne collez que les bords inférieur et extérieur pour créer une pochette directement intégrée à votre page.

Point important : Le plioir en os n’est pas un gadget. C’est l’outil qui vous permettra de créer des plis parfaitement nets et compressés. En écrasant les fibres du papier le long de la pliure, il évite le volume excessif et donne à vos cahiers un aspect professionnel. Un carnet bien pressé au plioir se tiendra mieux et durera plus longtemps.

L’inspiration japonaise ne se limite pas au washi tape. La reliure

Ne négligez pas les pages de garde ! Ce sont les doubles pages qui font le lien entre la couverture et le bloc de pages intérieur. Choisir un papier texturé ou à motifs (comme les papiers népalais ou les feuilles de la marque Artoz) pour vos pages de garde ajoute une touche de raffinement et de surprise dès l’ouverture de votre carnet.


- Une couverture qui reste parfaitement plate.
- Des cahiers qui ne se déforment pas avec l’humidité.
- Une couture qui résiste à des centaines de manipulations.
Le secret ? Le respect du sens des fibres pour tous les éléments : le papier des pages, le carton de la couverture et le papier qui l’habille. C’est la règle d’or de la reliure.

Puis-je utiliser du fil à broder pour la couture ?
Oui, mais avec une précaution ! Le fil à broder en coton n’est pas aussi solide que le fil de lin et peut s’effilocher en passant dans le papier. Pour le renforcer et faciliter la couture, passez-le généreusement sur un bloc de cire d’abeille. La cire va gainer les fibres, le rendre plus résistant et l’aider à tenir la tension.

Couverture rigide : Offre une protection maximale contre les chocs dans un sac à dos. Parfaite pour un journal destiné à être conservé précieusement dans une bibliothèque.
Couverture souple : Plus légère et flexible, elle se glisse facilement dans une poche. Idéale pour un carnet d’esquisses ou de notes à utiliser sur le vif pendant le voyage.
Le choix dépend de l’usage : protection à long terme ou praticité immédiate.

Avant de vous lancer dans la reliure de votre carnet final, créez un petit prototype avec du papier brouillon. Cela vous permettra de vous familiariser avec la technique de couture, de vérifier la tension de votre fil et de corriger les petites erreurs sans gâcher vos beaux matériaux. Dix minutes de préparation pour des heures de frustration en moins.

Le choix du papier influence l’expérience d’écriture. Un papier lisse comme celui d’un carnet Rhodia ou Clairefontaine est idéal pour les stylos plume, offrant une glisse incomparable. Un papier avec un léger grain, comme le Canson 180g/m², accroche mieux le crayon graphite et donne de la texture à vos croquis. Touchez, testez, et choisissez le


Pour percer vos trous de couture, la précision est essentielle. Si vous prévoyez de faire plusieurs carnets, l’investissement dans un poinçon à vis japonais (screw punch) peut être judicieux. Contrairement à une alêne classique, il retire un minuscule cylindre de papier au lieu de juste le repousser, ce qui donne des trous parfaitement propres et sans effort.

- Le tranchefile : cette petite bande de tissu coloré collée en haut et en bas du dos ajoute une finition professionnelle et protège le bloc de page.
- Le signet : un ruban de satin ou de soie intégré à la reliure.
- Les coins métalliques : ils protègent les angles de votre couverture des chocs et de l’usure.

N’ayez pas peur du vide. La tendance du

Mon budget est serré. Où trouver des matériaux de qualité ?
Fuyez les rayons

Un objet fait main n’est pas parfait. Il est unique.
Ne cherchez pas la perfection industrielle. Une couture légèrement irrégulière, une petite tache de colle discrète… ce sont les marques de votre passage, la preuve du temps et du soin que vous avez investis. C’est ce qui différencie votre carnet, objet vivant, d’un produit de masse sans âme.
Erreur fréquente : Serrer le fil de couture comme si votre vie en dépendait. Une tension excessive risque de déchirer le papier au niveau des trous de perforation, surtout sur les cahiers extérieurs. Le fil doit être tendu pour maintenir les cahiers ensemble, mais jamais au point de déformer ou de cisailler la page. La souplesse est la clé d’une reliure solide.