Ce dessert bengali qui surprend les pâtissiers français

Auteur Stéphanie Le Quellec
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Un dessert lacté venu du Bengale, le Ras Malai de Comilla, s’invite dans nos pâtisseries et révèle des parallèles fascinants avec nos propres traditions fromagères. Ce que certains chefs considèrent comme une petite révolution culinaire est en réalité une rencontre entre deux savoir-faire ancestraux centrés sur la transformation du lait. Cette spécialité, géographiquement protégée au Bangladesh, trouve un écho surprenant en France car nos deux cultures partagent une même obsession : la maîtrise parfaite du lait.

Le secret d’une texture parfaite : le Chhena

Au cœur du Ras Malai se trouve le Chhena, un fromage frais qui constitue la base des quenelles moelleuses. Sa fabrication est un pont technique entre le sous-continent indien et la France. Le processus ressemble de manière frappante à la confection de notre fromage blanc ou de la faisselle, mais avec une étape cruciale qui change tout.

Tout commence par faire chauffer du lait. Pour un résultat optimal, je vous conseille d’utiliser du lait entier frais microfiltré, que l’on trouve facilement en supermarché (autour de 1,50€ le litre). Le lait UHT, dont les protéines ont été altérées par la chaleur, donnera un résultat moins satisfaisant. Le lait est chauffé jusqu’à frémissement, aux alentours de 90-95°C. Un thermomètre est idéal, mais le signal visuel est l’apparition de petites bulles sur les bords de la casserole. On le retire alors du feu et on y ajoute un acide – jus de citron frais ou vinaigre blanc – pour le faire cailler. Le secret est de verser l’acide et de remuer très doucement, une ou deux fois seulement, pour ne pas briser les flocons de caséine qui se forment.

La technique du pétrissage : la touche du chef

Après avoir laissé reposer quelques minutes pour que le caillé (Chhena) se sépare nettement du petit-lait (lactosérum), on l’égoutte dans une étamine ou un linge propre. C’est ici que la magie opère et que le Chhena se distingue de notre fromage frais. Une fois le caillé égoutté et encore tiède, il est pétrit à la main pendant 5 à 7 minutes. On utilise la paume de la main pour l’écraser et l’étirer sur un plan de travail propre. Ce geste technique transforme sa texture granuleuse en une pâte lisse, soyeuse et légèrement brillante, presque comme une pâte d’amande très souple. C’est ce pétrissage qui garantit des quenelles incroyablement fondantes qui ne durciront pas à la cuisson.

L’importance cruciale des ingrédients

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Comme dans la pâtisserie française, la réussite du Ras Malai repose sur la qualité de ses composants. Deux éléments sont non négociables : le lait et les épices.

Le juste équilibre du lait

Le taux de matière grasse du lait est fondamental. Les maîtres bengalis expliquent qu’un lait trop maigre (moins de 4% de matière grasse) donnera des quenelles dures et caoutchouteuses. À l’inverse, un lait trop riche (plus de 5%) risque de les faire se désagréger à la cuisson. Le lait entier du commerce, autour de 3.5%, est une bonne base. Mon astuce de chef : pour atteindre le taux idéal, vous pouvez ajouter une cuillère à soupe de crème fleurette (30% M.G.) par litre de lait. C’est ce petit ajustement qui assure une texture parfaite.

La noblesse des épices

Le Ras Malai est traditionnellement parfumé avec du safran du Cachemire et de la cardamome verte du Kerala, des épices nobles que nous chérissons également dans notre haute pâtisserie. Pour un maximum d’arômes, achetez des gousses de cardamome verte entières (disponibles en épicerie fine ou asiatique) et extrayez les petites graines noires pour les moudre au dernier moment. Pour le safran, faites infuser quelques pistils dans deux cuillères à soupe de lait chaud pendant 15 minutes avant de l’incorporer au sirop. Cela permet de libérer toute sa couleur et son parfum envoûtant.

La préparation du sirop lacté (le « Malai »)

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Les quenelles de Chhena ne seraient rien sans leur bain parfumé, le « Malai ». Il ne s’agit pas d’un simple sirop de sucre, mais d’un lait réduit et aromatisé, proche de la texture d’une crème anglaise très légère.

  • Préparation : Faites réduire 1 litre de lait entier à feu doux avec 80-100 g de sucre (ajustez à votre goût), les graines de 4-5 gousses de cardamome et le safran infusé.
  • Cuisson : Laissez le lait épaissir doucement, en remuant de temps en temps pour éviter qu’il n’attache, jusqu’à ce qu’il ait réduit d’environ un tiers. Cela peut prendre 20 à 30 minutes.
  • Astuce : Pour une touche de richesse supplémentaire, vous pouvez ajouter quelques pistaches ou amandes non salées et grossièrement hachées à la fin.

Assemblage et erreurs à éviter

La dernière étape est la cuisson des quenelles. Elles ne sont pas pochées directement dans le lait final. On prépare d’abord un sirop léger (1 volume de sucre pour 4 volumes d’eau) qu’on porte à ébullition. Les petites boules de Chhena y sont plongées et cuisent à gros bouillons pendant environ 10-15 minutes, jusqu’à ce qu’elles doublent de volume. Elles sont ensuite délicatement égouttées et plongées dans le sirop de lait parfumé et tiède. Le dessert doit ensuite reposer au frais pendant au moins 4 à 6 heures pour que les saveurs s’infusent.

Dépannage du Chef :

  • Mes quenelles sont dures : Le Chhena a été trop égoutté ou pas assez pétri. Il est aussi possible que le lait n’était pas assez gras.
  • Mes quenelles se désagrègent : Le Chhena n’a pas été assez égoutté, il restait trop d’eau. Ou alors, le lait était trop riche en matière grasse.
  • Mon dessert manque de goût : N’hésitez pas à être généreux avec les épices et assurez-vous de laisser infuser le dessert assez longtemps au réfrigérateur.

Adaptations modernes et astuces anti-gaspi

Cette tradition inspire déjà des chefs français. On voit apparaître des interprétations modernes, comme une tartinade de Chhena, simplement pétri avec du sel fin et des herbes fraîches, servie sur du pain grillé. Une merveille de simplicité !

Surtout, ne jetez pas le petit-lait issu de la fabrication du fromage ! Riche en protéines et nutriments, il est précieux. C’est une base fantastique pour faire une pâte à crêpes ou à pancakes incroyablement moelleuse. Vous pouvez aussi l’utiliser pour remplacer l’eau dans votre recette de pain maison ou comme base pour un smoothie. Une démarche anti-gaspi qui fait écho à nos propres valeurs de durabilité en cuisine.

Le Ras Malai est bien plus qu’un dessert exotique. C’est la preuve que la passion pour le travail bien fait et le respect du produit brut peuvent créer des ponts inattendus entre des cultures aussi éloignées que celles du Bengale et de la France. Une âme sœur culinaire qui enrichit notre répertoire et offre une expérience gustative authentique et raffinée.

Stéphanie Le Quellec

Cheffe étoilée Michelin dirigeant plusieurs restaurants dont La Scène à Paris. Elle partage quotidiennement recettes et astuces culinaires à travers des visuels raffinés. Passionnée par la transmission, elle rend la haute gastronomie accessible tout en gardant l'excellence française.
Expertise: Haute cuisine française, techniques gastronomiques, cuisine moderne