L’Atlantide égyptienne refait surface au large d’Alexandrie

Auteur Nicolas Kayser-Bril
latlantide ygyptienne refait surface au large dalexandrie

Au large d’Alexandrie, là où le bleu de la Méditerranée rencontre l’histoire, des grues percent la surface de l’eau. Accrochés à leurs câbles, des fragments d’un monde disparu remontent lentement vers la lumière du jour. L’Égypte vient de présenter les vestiges spectaculaires d’une cité engloutie, un complexe monumental qui dormait sous les flots depuis plus d’un millénaire, ravivant le mythe tenace de l’Atlantide.

Ce ne sont pas les ruines d’un continent légendaire, mais les fondations bien réelles d’une extension de l’antique cité de Canope. Les archéologues ont mis au jour un réseau complexe de temples, de résidences, de réservoirs d’eau et même d’un quai monumental de 125 mètres de long. Un témoignage exceptionnel de la vitalité d’une ville qui fut, à l’époque des Ptolémées et de l’Empire romain, un carrefour économique et culturel majeur, célèbre autant pour sa richesse que pour sa vie licencieuse.

La cité a sombré entre le IIIe et le VIIIe siècle de notre ère, victime d’une combinaison fatale de tremblements de terre et d’une lente montée des eaux. Un destin partagé avec sa voisine, le port de Thônis-Héracléion, redécouvert dans les mêmes eaux au début des années 2000. Ces fouilles, menées par l’Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine (IEASM) en collaboration avec les autorités égyptiennes, comptent parmi les plus importantes jamais entreprises en Méditerranée.

Un carrefour de cultures et de croyances

latlantide ygyptienne refait surface au large dalexandrie 2

Canope n’était pas une ville ordinaire. Le philosophe romain Sénèque la décrivait comme une « oasis de luxe et de débauche », tout en admettant que « rien n’empêchait d’y mener une vie sobre ». Elle abritait surtout le principal centre de culte du dieu Sérapis, une divinité fascinante, fruit d’un syncrétisme religieux et politique orchestré par Ptolémée Ier.

En fusionnant le dieu égyptien Osiris-Apis avec des divinités grecques comme Zeus et Hadès, le fondateur de la dynastie ptolémaïque créa un dieu capable de séduire à la fois ses sujets égyptiens et l’élite grecque. Sérapis devint le protecteur d’Alexandrie et son culte se propagea dans tout le bassin méditerranéen. Les temples en calcaire découverts sous les eaux étaient probablement dédiés à ce dieu ou à Osiris, confirmant le rôle spirituel central de la cité.

Le travail de remontée des artefacts est d’une délicatesse extrême. Des plongeurs sanglent patiemment les statues, les dépoussièrent sous l’eau avant de guider leur ascension. Une statue ptolémaïque décapitée, le socle d’une autre ayant appartenu à un notable romain… chaque pièce est une page d’histoire. « Il y a un très grand nombre d’objets sous l’eau, mais nous ne pouvons en remonter qu’un nombre limité », a expliqué le ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités. « Nous ne sauvons que des fragments choisis selon des critères stricts. Le reste demeurera partie intégrante de notre patrimoine sous-marin. » Une décision qui souligne l’ampleur du site et les défis de sa conservation.

Quand le passé éclaire le présent menacé d’Alexandrie

latlantide ygyptienne refait surface au large dalexandrie 3

Au-delà de leur valeur historique, ces découvertes portent une résonance tragique pour l’Égypte contemporaine. Les mêmes forces naturelles qui ont englouti Canope menacent aujourd’hui sa grande sœur, Alexandrie. La mégapole moderne, héritière de cette splendeur antique, s’enfonce de plus de trois millimètres par an. Un phénomène dû à la subsidence naturelle du delta du Nil, aggravée par le pompage excessif des nappes phréatiques.

À cela s’ajoute l’accélération de la montée du niveau de la mer due au changement climatique. Les avertissements sont clairs et alarmants. Selon les Nations Unies, même dans le scénario le plus optimiste, un tiers d’Alexandrie pourrait être inondé ou inhabitable d’ici 2050. Des centaines de milliers de personnes deviendraient des réfugiés climatiques, et des quartiers historiques parmi les plus densément peuplés seraient menacés.

Les trésors de Canope ne sont donc pas seulement des reliques du passé ; ils sont un avertissement venu des profondeurs. La découverte de viviers et de systèmes de stockage d’eau potable témoigne d’une ingénierie sophistiquée pour maîtriser l’environnement, une lutte que les ingénieurs modernes poursuivent avec des moyens différents. Parmi les autres trouvailles, des statues de souverains et des sphinx de l’époque pré-romaine, dont un fragment portant le cartouche de Ramsès II, rappellent que cette terre a vu se succéder les empires et les catastrophes.

En sortant de l’oubli ces vestiges de son « Atlantide », l’Égypte ne fait pas que renforcer son attractivité touristique. Elle met en lumière une vulnérabilité qui transcende les âges. L’histoire de Canope, jadis engloutie par les flots, est devenue un miroir dans lequel l’Alexandrie du XXIe siècle contemple, avec anxiété, son propre avenir.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.