Google : la fin de la recherche classique, l’IA prend le pouvoir

Auteur Nicolas Kayser-Bril
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C’est un changement qui s’opère sans fanfare, mais qui pourrait bien être le plus important de l’histoire de Google. Sur la page d’accueil qui a défini l’Internet pour des millions de personnes depuis des décennies, un nouveau bouton fait son apparition. Ce n’est pas un ajout anodin ou un simple onglet de plus. C’est le « Mode IA », et son activation marque un tournant radical : l’intelligence artificielle devient le cœur du réacteur, reléguant au second plan la formule classique qui a fait le succès du moteur de recherche depuis sa création.

Cette transition, qui a commencé son déploiement mondial, redéfinit non seulement l’expérience utilisateur, mais ébranle aussi les fondations de l’industrie de l’information et le modèle économique même de Google. L’ère des dix liens bleus est en train de s’achever, remplacée par quelque chose de radicalement différent.

Des liens aux réponses : un basculement des règles du jeu

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Le terrain avait déjà été préparé avec les « AI Overviews », ces résumés générés par l’IA qui occupent une place prépondérante sur la page de résultats. Il y a quelques années, une recherche comme « café à Paris avec bon wifi et calme pour travailler » aurait retourné une liste de blogs, de sites d’avis et un bloc Google Maps. L’utilisateur devait cliquer, comparer, synthétiser.

Avec les Overviews, la dynamique a changé. Avant même les liens, l’IA proposait un résumé : « Pour une ambiance parisienne moderne avec un bon wifi, essayez le lieu X. Pour une atmosphère plus cosy, le lieu Y est recommandé. » L’information était pré-mâchée, citant les sources utilisées. Ce premier pas a mis l’accent sur la synthèse au détriment de l’exploration, mais a aussi mis en lumière une faiblesse majeure : l’IA peut se tromper. Ses « hallucinations » ont déjà créé des situations embarrassantes, inventant des faits ou citant des sources erronées. L’impact a été immédiat : moins de trafic pour les créateurs de contenu et, potentiellement, moins de clics sur les publicités, le nerf de la guerre pour Google.

Le « Mode IA » pousse cette logique à son paroxysme. Une fois activé, la liste de résultats traditionnelle disparaît presque entièrement. En reprenant notre recherche de café parisien, la réponse n’est plus un simple résumé. C’est une vue d’ensemble détaillée et interactive : espaces de coworking, cafés de spécialité, cartes interactives, conseils pratiques… Sur la version ordinateur, quelques liens subsistent dans un module réduit à droite, mais l’intention est claire : Google veut que vous preniez vos décisions au sein de son écosystème.

L’expérience devient conversationnelle. On peut demander des précisions, un comparatif, ajouter des nuances. Le système, propulsé par le modèle Gemini 2.5, mémorise le contexte de la discussion pour affiner ses réponses. L’objectif est de passer d’un annuaire du web à un véritable concierge numérique.

La bataille pour l’attention et le nouveau Far West de l’information

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Ce virage stratégique n’est pas un simple caprice technologique. Il s’agit d’une réponse défensive à la montée en puissance de nouveaux acteurs comme OpenAI (ChatGPT) et Perplexity AI, qui ont prouvé qu’un modèle de réponse directe pouvait séduire les utilisateurs. Google, le gardien du temple de l’information en ligne, se voit contraint de détruire son propre temple pour en reconstruire un nouveau, avant que d’autres ne le fassent à sa place.

Mais cette révolution soulève des questions existentielles. La plus critique concerne l’équilibre économique du web. Pendant vingt ans, le pacte était simple : les créateurs produisaient du contenu de qualité, Google l’indexait et leur envoyait du trafic, qu’ils monétisaient par la publicité ou d’autres moyens. Ce modèle est aujourd’hui menacé. Si l’IA de Google aspire, analyse et synthétise l’information de centaines de pages sans nécessiter un clic vers la source, quel est l’intérêt de produire ce contenu original ?

Pour les éditeurs de presse, notamment en France et en Europe qui se sont battus pour les droits voisins, le défi est immense. Comment valoriser un contenu qui sert à entraîner et nourrir une IA qui, in fine, devient leur principal concurrent ? La question de la rémunération et de la transparence des sources utilisées par l’IA devient un champ de bataille juridique et économique majeur.

Au-delà de l’économie, c’est la nature même de l’information qui est en jeu. La liste de liens, malgré ses défauts (biais de l’algorithme, prédominance du SEO), offrait une pluralité de sources. L’utilisateur gardait un certain contrôle critique. Avec une réponse unique et synthétique, présentée comme une vérité factuelle, le risque d’une « bulle de filtre » algorithmique est décuplé. Une seule réponse, une seule perspective, potentiellement biaisée ou erronée, pourrait s’imposer comme la norme.

Google se positionne désormais moins comme une porte d’entrée vers le web que comme le web lui-même. Une destination finale. Ce changement de paradigme, de l’indexation à la réponse, redéfinit les rapports de force et nous force à nous interroger sur l’avenir d’un Internet ouvert et diversifié face à la puissance d’un « moteur de réponse » centralisé.

Nicolas Kayser-Bril

Nicolas Kayser-Bril est un journaliste de données (data journalist) reconnu pour son expertise dans l'analyse de chiffres et la visualisation de données. Il a co-fondé l'agence de journalisme de données Journalism++ et est l'auteur d'ouvrages sur le sujet. Il enquête sur des sujets variés (économie, société, technologie) en se basant sur des faits quantitatifs.