Camping-cars : le rêve vire au gouffre, des milliers vendent

Auteur Rozenn Allard
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C’était le symbole ultime de la liberté retrouvée, une promesse d’évasion sur quatre roues après des mois de confinement. Le camping-car, plébiscité comme jamais au sortir de la crise sanitaire, est en train de devenir le fardeau de milliers de Français. Sur les sites de petites annonces et dans les concessions, le mouvement est sans précédent : une vague de reventes massives qui témoigne d’une profonde désillusion. Le rêve d’autonomie se heurte brutalement au mur de la réalité économique.

Ce qui était perçu comme un investissement malin pour des vacances à moindre coût s’est transformé en un « gouffre financier », pour reprendre les termes qui reviennent en boucle chez les vendeurs. La flambée des prix du carburant a été l’étincelle, mais l’incendie couvait depuis longtemps, alimenté par une accumulation de coûts souvent sous-estimés lors de l’achat. L’entretien annuel peut facilement atteindre 1 000 à 1 500 euros pour un modèle récent, sans compter les réparations imprévues. À cela s’ajoutent une assurance spécifique coûteuse, le prix du stationnement ou du gardiennage hivernal qui peut grimper à plusieurs centaines d’euros par an, et un contrôle technique de plus en plus exigeant.

Michel Dubois, retraité de 62 ans, est l’une des figures de ce retournement de marché. « J’ai acheté mon camping-car il y a cinq ans, un rêve de jeunesse pour sillonner la France avec ma femme », raconte-t-il. Mais le rêve a vite été rattrapé par les chiffres. « Entre le diesel à près de 2 euros le litre, l’assurance qui a augmenté de 15% en deux ans et une panne de chauffage qui nous a coûté 800 euros, nous avons compris que nous ne tenions plus le budget. Chaque sortie devenait une source de stress. C’était ça ou commencer à taper dans nos économies de retraite. La décision a été douloureuse, mais inévitable. »

L’effet ciseau d’un marché saturé

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Le cas de Michel est loin d’être isolé. Il illustre un phénomène économique classique : après un boom spectaculaire des ventes entre 2020 et 2023, le marché de l’occasion est aujourd’hui inondé. L’offre explose au moment même où la demande se contracte, étranglée par l’inflation. Conséquence directe : les prix chutent et les délais de vente s’allongent. Un camping-car acheté 60 000 euros il y a trois ans peine aujourd’hui à trouver preneur à 45 000 euros, alors qu’il se serait vendu rapidement et avec une décote bien moindre il y a à peine 18 mois.

Les professionnels du secteur sont en première ligne. Un concessionnaire de la région nantaise, qui préfère rester anonyme, parle d’une situation « jamais vue en vingt ans de carrière ». « Nous recevons des dizaines d’appels par semaine de propriétaires qui veulent vendre. Nous ne pouvons plus faire de reprises, nos parcs sont pleins. Nous sommes obligés de refuser des clients qui nous ont acheté un véhicule neuf il y a quelques années. C’est terrible, mais c’est la réalité du marché. » Certains tentent de mettre en place des solutions, comme des offres de financement plus souples ou des extensions de garantie pour rassurer les rares acheteurs, mais l’élan est cassé.

Au-delà de l’aspect purement financier, c’est aussi un changement de paradigme. La liberté promise par le camping-car est de plus en plus contrainte. De nombreuses municipalités, notamment sur le littoral atlantique et en Méditerranée, ont durci leur réglementation, multipliant les interdictions de stationnement nocturne en dehors des aires de services, elles-mêmes souvent payantes et saturées. L’image du véhicule autonome s’arrimant en pleine nature s’effrite face à une réalité faite de barres de hauteur et de parkings bondés.

Vers de nouvelles formes de tourisme

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Cette crise révèle une évolution plus profonde des habitudes des Français. Face à la pression sur le pouvoir d’achat, les vacances se réinventent. Le modèle du camping-car, lourd et énergivore, semble moins en phase avec une quête de sobriété, qu’elle soit choisie ou subie. On assiste à un regain d’intérêt pour des alternatives plus légères et plus agiles : la location de vans aménagés pour de courtes durées, le retour en grâce de la caravane, moins chère à l’achat et à l’entretien, ou encore le tourisme de proximité en gîtes ou en train.

Ce n’est pas la fin du camping-car, mais certainement la fin d’une époque d’euphorie. Pour les futurs acheteurs, la leçon est claire : l’acquisition doit être précédée d’une simulation rigoureuse de tous les coûts annexes. Pour l’industrie, cette vague de reventes est un signal d’alarme puissant. Elle pourrait accélérer une mutation nécessaire vers des véhicules plus compacts, plus économes en énergie et peut-être même électriques, pour s’adapter aux nouvelles contraintes économiques et environnementales. La liberté a un coût, et pour des milliers de Français, l’addition est devenue trop salée.

Rozenn Allard

Rozenn Allard est une journaliste indépendante spécialisée dans l'enquête sur les mouvements d'extrême droite et les questions de société. Elle a notamment collaboré avec le média d'investigation Mediapart. Son travail se caractérise par une approche de terrain rigoureuse et une analyse en profondeur des idéologies contemporaines.