Dans les coulisses d’une visière de protection : Le guide d’un pro pour tout comprendre (et même en faire une !)
Nike s’engage dans la lutte contre le coronavirus avec une visière de protection innovante, alliant créativité et solidarité.

Face à une crise sans précédent, j'ai ressenti un élan d'admiration pour les entreprises qui mettent leur savoir-faire au service des autres. Nike, en lançant sa visière de protection, prouve qu'innovation et altruisme peuvent coexister. Cette initiative, conçue en partenariat avec des universitaires, illustre comment le monde de la mode peut se mobiliser pour le bien commun.
J’ai passé plus de vingt ans dans le design de produits. Mon boulot, c’est de jongler avec les matériaux, de sculpter des formes et de planifier comment on va fabriquer tout ça en série. D’habitude, je bosse sur des projets qui prennent des mois, parfois des années. Mais il y a eu cette période, pas si lointaine, où tout a basculé. Le monde s’est mis sur pause et on nous a demandé de faire une chose complètement inédite : créer des équipements de protection pour les soignants. Et le faire pour hier.
Contenu de la page
- 1. Le brief : bien plus qu’un simple bout de plastique
- 2. Le choix des matériaux : l’art de la débrouille intelligente
- 3. La fabrication : quand chaque seconde compte
- 4. Deux approches, une même urgence : Industriels vs. Makers
- 5. Tuto Express : Votre visière maison en 10 minutes
- 6. Sécurité et nettoyage : le point le plus important
- 7. Les leçons pour demain
- Inspirations et idées
Franchement, cette période a été une leçon d’humilité et d’ingéniosité monumentale. Il a fallu mettre de côté nos processus bien huilés et innover avec les moyens du bord. L’histoire de la visière développée en urgence par un grand équipementier sportif en collaboration avec des professionnels de santé est un cas d’école parfait de cette mobilisation.
Même si je n’étais pas dans leurs usines, j’ai planché sur des projets similaires. Je connais les matériaux, les machines et les galères qu’ils ont dû affronter. Alors, laissez-moi vous emmener en coulisses. On va voir comment on passe d’une simple idée à des milliers de visières en quelques jours, les choix techniques qui se cachent derrière, et ce qu’on peut tous en retenir.

1. Le brief : bien plus qu’un simple bout de plastique
Quand une crise éclate, le premier réflexe, c’est de vouloir « faire quelque chose », n’importe quoi, pourvu que ça aide. Mais la précipitation est la pire ennemie de l’efficacité. Avant de lancer la moindre machine, la première étape, c’est de parler aux utilisateurs. Dans ce cas précis, les médecins, les infirmières, bref, le personnel hospitalier.
Un designer ou un ingénieur ne peut pas deviner les besoins d’un soignant après une garde de 12 heures. Les retours du terrain étaient donc cruciaux. Les soignants n’ont pas juste demandé « une visière ». Ils ont exprimé des besoins très clairs :
- Légèreté et confort : Imaginez porter ça toute la journée. Le moindre gramme en trop peut causer des maux de tête ou des marques. Le confort n’est pas un luxe, c’est une nécessité.
- Clarté parfaite : Le plastique ne doit absolument pas déformer la vision. C’est non négociable pour réaliser des gestes médicaux précis.
- Assez d’espace : Il fallait prévoir la place pour des lunettes de vue et un masque (chirurgical ou FFP2) en dessous, sans que ça génère de la buée.
- Nettoyage facile et répété : La visière devait supporter d’être désinfectée plusieurs fois par jour sans se rayer ou devenir opaque. Elle devait donc résister à l’alcool ou aux solutions d’eau de Javel.
- Fabrication ultra-rapide : Le design devait être d’une simplicité enfantine pour être produit en masse avec les outils disponibles.
Son rôle est simple : c’est une barrière physique contre les projections directes, comme la toux. Elle ne filtre pas l’air. Son but principal était de protéger tout le visage et, surtout, de faire durer les masques, qui étaient devenus une denrée rarissime.

2. Le choix des matériaux : l’art de la débrouille intelligente
En temps normal, on commanderait des matériaux certifiés, spécifiques. Mais là, impossible. Il a fallu regarder ce qu’il y avait en stock. C’est là que l’ingéniosité des équipes a vraiment brillé : elles ont pioché dans leurs propres chaînes de production de chaussures et de vêtements.
Pour la visière transparente : le plastique des bulles d’air !
Le composant principal était le polyuréthane thermoplastique (TPU). C’est un plastique que je connais bien, à la fois souple et très résistant. On le trouvait en abondance dans les bulles d’air des fameuses semelles de baskets de la marque. Pourquoi c’était une idée de génie ? Ils en avaient des tonnes en stock, il est flexible, et il résiste bien aux désinfectants. Un trio gagnant.
Au fait, si vous voulez vous lancer dans la fabrication d’une visière maison, le TPU est difficile à trouver pour un particulier. Vos meilleurs alliés seront le PETG ou le polycarbonate. Visez une feuille d’une épaisseur de 0,5 mm à 0,8 mm. C’est le compromis idéal entre rigidité et souplesse. Une feuille A3, qui permet de faire 2 à 3 visières, coûte entre 10€ et 20€ dans les magasins de bricolage ou en ligne.

Pour le coussin frontal : la mousse des baskets
Pour le confort et l’écartement, il faut une mousse. Les équipes ont utilisé celle qu’on trouve dans le col des chaussures de sport. Mais attention, toutes les mousses ne se valent pas. Il y a celles à « cellules ouvertes » (comme une éponge, elles absorbent la sueur, une catastrophe hygiénique) et celles à « cellules fermées » (imperméables et faciles à nettoyer). C’est évidemment ce deuxième type qui a été retenu.
Je me souviens d’une nuit blanche passée à tester différentes mousses pour un projet similaire. On en a testé une qui a littéralement fondu au contact de l’alcool désinfectant… un vrai carnage ! C’est ce soir-là qu’on a tous compris l’importance capitale des mousses à cellules fermées. C’est le genre de détail qui fait toute la différence.
Pour l’attache : un simple cordon de serrage
Pourquoi faire compliqué ? Un cordon de serrage de jogging ou de veste de sport était la solution parfaite. Solide, ajustable, disponible en masse. Pas besoin de concevoir un clip en plastique qui aurait nécessité un moule et des semaines de délai.

3. La fabrication : quand chaque seconde compte
La clé pour une production de masse, c’est un assemblage simple. Le processus industriel se résumait à quelques étapes optimisées à l’extrême.
La découpe des matériaux, par exemple. Oubliez le laser, trop lent pour ces volumes. La méthode reine, c’est la découpe à l’emporte-pièce. Imaginez un emporte-pièce de cuisine géant en acier, avec la forme exacte de la visière. Une presse vient frapper le plastique et peut en découper plusieurs d’un seul coup. C’est brutalement efficace.
Ensuite, l’assemblage. C’est une chaîne où chaque personne a une tâche simple et répétitive. Un poste colle la mousse adhésive sur la visière (en utilisant un gabarit pour être toujours précis). Le suivant perfore les trous pour le cordon. Le dernier enfile le cordon. Et hop, avec une bonne organisation, on peut sortir une visière toutes les 90 secondes par ligne.
4. Deux approches, une même urgence : Industriels vs. Makers
Ce qui est fascinant, c’est de voir comment, partout dans le monde, des gens ont eu la même idée mais avec des solutions techniques différentes.
D’un côté, l’approche industrielle, à très haute cadence. De l’autre, celle des « makers » et de l’impression 3D, très visible en Europe. Des milliers de bénévoles, armés de leurs imprimantes 3D, se sont mis à produire non pas la visière transparente, mais le support frontal rigide.
Cette approche est hyper agile. Les modèles 3D, souvent partagés en open source sur des plateformes communautaires, étaient améliorés tous les jours. Par contre, c’était lent. Comptez entre 2 et 4 heures d’impression et environ 1€ à 3€ de filament plastique (PLA ou PETG) pour fabriquer un seul support.
Ces deux mondes n’étaient pas en compétition, ils étaient complémentaires. Les makers ont répondu à l’urgence immédiate, le temps que l’industrie lourde se réorganise.
Bon à savoir : Quel plastique choisir si vous bricolez ?
Pour éviter les erreurs, voici un petit résumé. Le PETG est souvent le favori : assez bon marché, très clair, et il se plie sans blanchir ni casser. Le polycarbonate est son cousin plus costaud, quasi indestructible, mais un peu plus cher et plus difficile à couper proprement à la main. Et puis il y a l’acrylique (Plexiglas). Soyez prudent avec lui : il est très transparent et rigide, mais il est cassant comme du verre. Si vous essayez de le plier… crack ! Il ne pardonne pas.
5. Tuto Express : Votre visière maison en 10 minutes
Envie d’essayer ? Voici comment faire une version simple et efficace avec du matériel de bricolage.
Matériel :
- Une feuille de plastique transparent (PETG, 0.5 mm), trouvable chez Leroy Merlin, Castorama ou en ligne.
- Un rouleau de joint de fenêtre en mousse adhésive (cellules fermées !).
- Un élastique large (type couture) ou un cordon.
- Des ciseaux solides et une perforatrice de bureau.
Les étapes :
- Découpez : Taillez une forme rectangulaire dans votre feuille de plastique (environ 30 cm de large sur 22 cm de haut). Arrondissez les coins du bas pour ne pas vous blesser.
- Collez : Appliquez une bande de joint en mousse sur le bord supérieur, côté intérieur. C’est ce qui sera en contact avec votre front.
- Perforez : Faites un trou de chaque côté de la bande de mousse avec votre perforatrice.
- Attachez : Passez votre élastique ou votre cordon dans les trous et faites un nœud solide.
Et voilà ! C’est un modèle basique, mais il remplit parfaitement sa fonction de barrière.
6. Sécurité et nettoyage : le point le plus important
Produire, c’est bien. Produire en sécurité, c’est mieux. Soyons très clairs.
Une visière ne remplace JAMAIS un masque. Elle est un complément, une protection contre les projections. Elle doit toujours être portée avec un masque adapté.
Le nettoyage est absolument non négociable. Une visière sale est un risque. Voici le protocole :
- Lavez-vous les mains.
- Retirez la visière par l’arrière, sans toucher la face avant.
- Nettoyez-la avec une lingette désinfectante ou un chiffon doux imbibé d’alcool à 70 %.
- Laissez sécher à l’air libre.
PIÈGE À ÉVITER : N’utilisez jamais de nettoyant à vitres classique ou de produits contenant de l’ammoniaque ! Sur le long terme, ils peuvent rendre le plastique opaque ou le fragiliser jusqu’à ce qu’il casse.
Ces produits d’urgence n’ont pas les certifications médicales standard. Leur usage doit rester limité à leur but initial : une barrière anti-gouttelettes.
7. Les leçons pour demain
Cette crise a été un test de résistance incroyable. On a appris l’importance de la collaboration entre des mondes qui ne se parlent jamais : des designers de chaussures, des médecins, des logisticiens… On a aussi redécouvert la puissance de la flexibilité et de la production locale. Quand les chaînes d’approvisionnement mondiales craquent, savoir fabriquer sur place avec les ressources locales est un atout stratégique majeur.
Au final, ce n’est pas juste l’histoire d’une grande marque. C’est le témoignage d’une mobilisation sans précédent d’ingénieurs, de techniciens et de bricoleurs qui ont mis leur savoir-faire au service des autres, en utilisant ce qu’ils avaient sous la main : une semelle, un cordon et un bout de mousse. Et en faisant ça, ils ont protégé ceux qui étaient en première ligne pour nous protéger tous.
Inspirations et idées
Le design de la visière open-source
PETG (Polyéthylène téréphtalate glycolisé) : Plus souple, facile à découper au laser et moins cher. C’était le choix privilégié pour la production de masse rapide lors de l’urgence sanitaire.
Polycarbonate : Extrêmement résistant aux chocs et aux rayures, mais plus coûteux. On le retrouve sur les équipements de protection individuelle (EPI) conçus pour durer dans l’industrie.
Pour les visières d’urgence, le PETG était le champion incontesté pour son rapport rapidité/efficacité.
Le confort d’une visière ne tient pas qu’à son poids. La mousse frontale est un détail crucial. Les concepteurs ont souvent privilégié des mousses à cellules fermées de qualité médicale, comme le Plastazote®. Contrairement aux mousses d’emballage classiques, celle-ci est hypoallergénique, n’absorbe pas la sueur et peut être facilement désinfectée, un critère non négociable en milieu hospitalier.
- Nettoyage : Utilisez un chiffon microfibre doux avec de l’eau tiède savonneuse ou des lingettes désinfectantes sans alcool.
- À proscrire : Les produits à base d’alcool, de solvants ou d’ammoniaque qui peuvent opacifier et fragiliser le plastique.
- Séchage : Laissez sécher à l’air libre ou tamponnez délicatement pour éviter de créer des micro-rayures qui altèrent la vision.
L’atout maître de la production de masse : la découpe laser. Si l’impression 3D a été essentielle pour prototyper et produire localement les supports, la découpe laser a permis de tailler des milliers d’écrans en PETG par jour à partir de grandes feuilles de plastique. Cette technique garantit une précision et une répétabilité parfaites, indispensables pour un dispositif médical.
Comment les designers ont-ils lutté contre la buée, l’ennemi numéro un du porteur ?
La solution est double. D’une part, le design lui-même : un espace calculé entre le front et l’écran favorise une circulation d’air qui évacue l’humidité de la respiration. D’autre part, le traitement du matériau. Certaines visières haut de gamme bénéficient d’un revêtement anti-buée, une fine couche surfacique qui empêche les gouttelettes de condensation de se former.
Une visière de protection de qualité, conforme à la norme EN 166, doit garantir une clarté optique de classe 1. Cela signifie une vision non déformée, même sur les bords, et une transmission lumineuse supérieure à 90% pour ne pas fatiguer les yeux.
- Elle protège l’intégralité du visage, y compris les yeux, contre les projections.
- Elle constitue une barrière physique qui empêche de se toucher le visage.
- Elle laisse voir les expressions faciales, restaurant un lien humain essentiel.
Plus qu’une simple barrière, la visière bien conçue est un outil de travail qui améliore la sécurité et la communication.
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