Produire un film en Afrique : le guide de terrain que vous ne lirez nulle part ailleurs
L’avenir du cinéma africain s’écrit avec John Boyega et Netflix. Découvrez comment cette collaboration va transformer l’industrie !

Chaque histoire a le pouvoir de transcender les frontières. En tant que passionné de cinéma, je suis ravi de voir des talents comme John Boyega s'engager à mettre en lumière le riche patrimoine culturel africain. Grâce à sa société UpperRoom Productions, nous allons découvrir des récits authentiques qui méritent d'être racontés.
On voit passer beaucoup d’annonces ronflantes ces derniers temps. Une grande plateforme s’associe avec un acteur célèbre pour développer des films sur le continent africain, une autre annonce une enveloppe de plusieurs millions… C’est super, franchement. Toute lumière braquée sur la création là-bas est une bonne nouvelle. Mais ces communiqués de presse ne racontent qu’une infime partie de la réalité.
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Moi, ça fait plus de vingt ans que je navigue dans la production de films et de séries entre l’Europe et l’Afrique. J’ai connu les plateaux sous un soleil de plomb, les salles de montage qui tournent toute la nuit et les bureaux climatisés des financiers. Et croyez-moi, la vérité du terrain est infiniment plus riche et complexe que ce qu’on peut lire en ligne.
Je ne suis pas là pour vous faire un cours théorique. Mon apprentissage s’est fait sur le tas, par essais et erreurs. J’ai vu des projets magnifiques naître avec trois bouts de ficelle et une énergie folle. J’ai aussi assisté, impuissant, à l’effondrement d’idées géniales à cause d’erreurs toutes bêtes. Aujourd’hui, j’ai envie de partager ce qui ne fait pas les gros titres. Pas pour décourager, bien au contraire ! Mais pour donner des clés concrètes à ceux qui veulent vraiment se lancer, pour que les belles annonces se transforment en succès authentiques et durables.

Pourquoi tout le monde s’intéresse à l’Afrique, au juste ?
Cet intérêt soudain n’a rien de philanthropique, soyons clairs. C’est une pure logique économique. Et comprendre ça, c’est déjà la première étape pour négocier intelligemment.
D’abord, les marchés occidentaux sont saturés. En Europe et en Amérique du Nord, la croissance des abonnements aux plateformes stagne. Il faut donc trouver de nouveaux spectateurs. L’Afrique, avec sa jeunesse, sa classe moyenne en plein essor et l’explosion de l’accès à internet, représente un réservoir de croissance phénoménal. C’est un pari sur l’avenir que tous les géants du streaming sont en train de faire.
Ensuite, il y a une vraie demande du public mondial pour de la nouveauté. Les gens sont un peu lassés des mêmes schémas narratifs. Les algorithmes le prouvent : une bonne série sénégalaise ou un thriller nigérian peut cartonner à Tokyo ou à Mexico. La diversité n’est plus une case à cocher, c’est devenu un argument de vente majeur.

Bon à savoir : quand une plateforme annonce un deal, il peut s’agir de trois choses très différentes :
- L’acquisition : Ils achètent votre film une fois qu’il est déjà terminé. C’est le moins risqué pour eux, mais souvent, le producteur a peu de marge de négociation.
- La coproduction : Ils investissent aux côtés d’autres partenaires pendant que le film se fait. C’est un modèle plus équilibré où vous gardez un certain contrôle créatif.
- La commande (ou « Original ») : Ils financent 100% du projet. C’est le Graal apparent, car le budget est là. Mais attention ! En général, ils prennent aussi 100% des droits, et votre contrôle sur l’œuvre peut devenir très limité. On y reviendra…
Les leçons du terrain : ce qui fait vraiment la différence
Allez, on quitte les bureaux des stratèges pour mettre les mains dans le cambouis. Monter un projet en Afrique demande des compétences bien spécifiques, qu’on n’apprend pas à l’école.

Le scénario : le premier piège à éviter
Le plus grand danger, c’est ce que j’appelle le « regard exotique ». Un scénariste, souvent étranger, qui écrit sur une culture qu’il ne connaît qu’en surface. Résultat ? Une avalanche de clichés.
Je me souviens d’un projet où un auteur européen avait écrit une scène sublime sur une cérémonie traditionnelle. Sur le papier, c’était très fort. Sauf que nos partenaires locaux, en lisant la scène, ont eu un sourire gêné. L’auteur avait mélangé des rituels de trois ethnies différentes qui n’avaient strictement rien en commun. C’était l’équivalent de mettre un rabbin dans une cathédrale pour y célébrer l’Aïd. Absurde. On a tout réécrit avec un consultant du coin, un sage du village, qui nous a patiemment expliqué les vrais gestes, les vrais mots. L’humilité a sauvé le film.
Mon conseil : Collaborez TOUJOURS avec des scénaristes locaux. Ou mieux, organisez des résidences d’écriture sur place. Immergez-vous. La co-écriture, c’est la clé de l’authenticité.

L’équipe : la confiance avant tout
Votre recrutement le plus important n’est pas votre réalisateur ou votre acteur principal. C’est votre directeur de production local, qu’on appelle souvent un « fixeur ». C’est la personne qui connaît les codes, les gens, les raccourcis. Il sentira si un prestataire tente de gonfler ses prix et saura obtenir une autorisation qui semble impossible.
Un bon fixeur à Abidjan ou à Dakar ? Comptez entre 150€ et 400€ par jour, selon son expérience et son carnet d’adresses. C’est un investissement, pas une dépense. Il vous fera économiser dix fois cette somme en problèmes évités.
Une anecdote ? Sur un tournage, on avait besoin de filmer dans un port ultra-sécurisé. Demandes officielles, blocage total. Mon directeur de prod, un homme d’un calme olympien, m’a juste dit : « Laisse-moi faire. » Il est revenu deux heures plus tard avec un grand sourire : « C’est bon, on tourne demain. Le chef de la sécurité était dans le même régiment que moi à l’armée. » Ce genre de réseau n’apparaît sur aucun CV.
La logistique : le vrai champ de bataille
Importer du matériel peut vite tourner au cauchemar. Votre meilleur ami s’appelle le Carnet ATA. C’est une sorte de passeport pour votre équipement qui facilite le passage en douane. Pour l’obtenir, adressez-vous à la Chambre de Commerce et d’Industrie de votre pays. Attention, prévoyez plusieurs semaines de délai !
Mais même avec ce sésame, tout peut arriver. J’ai cru vieillir de dix ans le jour où nos caméras de pointe sont restées bloquées à la douane d’un aéroport d’Afrique de l’Ouest pour un simple tampon manquant. Chaque jour de retard nous coûtait des dizaines de milliers d’euros. La solution n’est pas venue de nos coups de fil paniqués à Paris, mais de notre contact local qui, avec patience et respect, est allé voir la bonne personne pour expliquer l’importance du projet pour l’image du pays. Le lendemain, le matériel était libéré. La leçon : la pression ne marche pas ; le respect des hiérarchies locales, si.
Un continent, des cinémas : où monter votre projet ?
Parler DU cinéma africain n’a aucun sens. Les réalités de production varient énormément d’une région à l’autre. C’est essentiel de comprendre ces différences.
Pour faire simple, on peut voir trois grands pôles avec des logiques différentes.
D’un côté, vous avez le Nigeria, le cœur bouillonnant de Nollywood. C’est une industrie née de la débrouille, avec une efficacité redoutable : des budgets serrés, des tournages éclairs et une énergie créative folle. Aujourd’hui, avec l’arrivée des plateformes, les budgets augmentent et la qualité technique explose. C’est l’endroit idéal pour un projet qui demande du dynamisme et qui peut s’adapter à un rythme de production très rapide. Le plus gros défi ? C’est un milieu ultra-compétitif, difficile à pénétrer sans de bons contacts locaux.
Ensuite, il y a l’Afrique du Sud. C’est un peu l’atelier d’Hollywood sur le continent. Les techniciens sont de classe mondiale, les studios sont magnifiques, et les infrastructures sont très solides. C’est parfait pour des prestations de service ou des films à gros budget qui nécessitent un standard technique international. Le défi, c’est que les coûts sont bien plus élevés, proches des standards européens. Et l’enjeu pour les créateurs locaux est de réussir à utiliser ces outils pour raconter leurs propres histoires.
Enfin, l’Afrique francophone de l’Ouest (Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire…) possède une immense et fière tradition de cinéma d’auteur. C’est une terre de récits profonds, avec un regard social et politique très fort, souvent soutenu par des fonds européens. La force, c’est la qualité des histoires. Le défi est de créer des modèles économiques qui permettent de produire des films et des séries plus grand public pour les plateformes, sans pour autant perdre cette âme unique.
Conseils pratiques pour ceux qui se lancent
Alors, par où commencer si vous avez une idée mais zéro contact ? La toute première étape, avant même d’avoir un scénario finalisé, c’est d’aller sur place. Imprégnez-vous de l’ambiance et allez dans les marchés du film comme le FESPACO (à Ouagadougou) ou le Durban FilmMart. C’est là que vous rencontrerez vos futurs partenaires.
Quelques points essentiels à garder en tête :
- Le budget : Ne faites pas l’erreur de prendre un budget européen et de le diviser par deux. Certains postes sont moins chers, oui, mais d’autres explosent ! La logistique, les transports, la sécurité ou les groupes électrogènes peuvent représenter une part énorme. Prévoyez une ligne « imprévus » d’au moins 15% (contre 10% en Europe). Ces 5% supplémentaires vous sauveront la mise.
- Le juridique : Prenez un avocat local spécialisé dans le droit des médias. Un contrat rédigé à Paris peut n’avoir aucune valeur juridique à Kinshasa. Pour en trouver un, demandez des recommandations via les ambassades, les instituts culturels ou directement sur les marchés de film.
- La propriété intellectuelle (PI) : C’est LA bataille à mener. Quand une plateforme finance un « Original », elle demande souvent 100% des droits à vie. Battez-vous pour un modèle plus juste : une licence sur une durée limitée (10-15 ans), ou la conservation des droits sur certains territoires. C’est crucial pour que la valeur créée reste sur le continent.
- La sécurité : Ne soyez pas naïf. Dans certaines zones, un budget sécurité n’est pas un luxe. Prévoyez des plans d’évacuation sanitaire. Et un petit conseil perso : ayez toujours une copie numérique de tous les passeports et permis sur un drive sécurisé accessible hors ligne. Ça m’a sauvé plus d’une fois.
Pour finir, une dernière leçon d’humilité. Un jour, j’ai débarqué dans un village avec mon permis de tournage national, tout fier de moi. Le chef du village nous a interdit de tourner. Nous ne lui avions pas présenté nos respects, nous n’avions pas expliqué notre démarche. J’avais offensé toute une communauté. Ce n’est qu’après avoir partagé le thé et écouté les anciens que nous avons été acceptés. Le vrai travail, le plus important, commence bien loin des communiqués de presse. Il commence par le respect.