Prendre la parole en tant que marque : le guide pour ne pas se planter

La campagne « Dream Crazy » de Nike a redéfini le paysage publicitaire en alliant sport et engagement social. Découvrez son impact inattendu.

Auteur Laurine Benoit

Dans mon métier, j’ai vu pas mal de marques se lancer, grandir, et parfois, se prendre les pieds dans le tapis. Ça fait un bon moment que j’aide des entreprises à construire leur image, à créer un vrai dialogue avec leurs clients. Pas juste pour vendre, mais pour bâtir quelque chose de solide. Et franchement, rarement une campagne n’a aussi bien montré la puissance – et le danger – de ce lien que celle d’une célèbre marque de sport avec un athlète très engagé, il y a quelques années.

Je me souviens encore de l’onde de choc. Au bureau, c’était le débat du siècle. Coup de génie pour les uns, suicide commercial pour les autres. Ce n’était pas qu’une simple pub. C’était une prise de position, une vraie. Une marque mondiale, connue de tous, qui choisissait son camp dans un débat qui déchirait littéralement le pays.

Aujourd’hui, avec le recul, cette campagne est devenue un cas d’école. Ce qui est intéressant, ce n’est pas les prix qu’elle a gagnés, mais de comprendre la mécanique derrière. Pourquoi ça a marché pour eux ? Et surtout, qu’est-ce que vous, moi, les PME, les entrepreneurs, on peut en tirer ? C’est une histoire de stratégie, de cran, et d’une connaissance presque intime de son public.

Nike remporte l'Emmy Award de la Meilleure Publicité grâce à sa campagne Dream Crazy portée par Colin Kaepernick

Les bases : pourquoi l’engagement est devenu un sujet

Avant de décortiquer l’opération, il faut poser les bases. Une marque qui prend parti, ça ne s’improvise pas. Si c’est fait sur un coup de tête, c’est la catastrophe assurée. Le succès de cette campagne repose sur des fondations que tout bon stratège a en tête.

Le nouveau pacte avec le client

Pendant longtemps, le deal était simple : une marque proposait un bon produit à un prix correct. Le client achetait. Fin de l’histoire. Aujourd’hui, ça ne suffit plus, surtout pour les nouvelles générations. Elles attendent plus. Elles veulent que les marques qu’elles choisissent reflètent leurs valeurs.

Ce n’est pas une mode passagère, c’est un changement de fond. Pour beaucoup, un achat est un vote. Acheter votre produit, c’est soutenir votre entreprise et ce qu’elle représente. Votre logo n’est plus juste un logo ; c’est une entité qui a une voix. Comprendre ça, c’est la première étape. Et certaines marques l’ont compris bien avant les autres.

La campagne Dream Crazy de Nike et Colin Kaepernick a remporté l'Emmy Award de la meilleure publicité

L’alignement, le maître-mot de l’authenticité

Une prise de position ne peut pas sortir d’un chapeau. Elle doit être parfaitement cohérente avec l’histoire et les valeurs profondes de la marque. C’est ce qu’on appelle l’alignement. Si une banque connue pour financer des industries polluantes lance une campagne sur l’écologie, ça sonne faux. Et les gens ne sont pas dupes, ils le sentent immédiatement.

La marque de sport en question a toujours célébré le dépassement de soi. Son slogan iconique, ce n’est pas juste du marketing, c’est son ADN. Il parle de surmonter les obstacles. En soutenant des athlètes qui ont pris des risques pour leurs convictions, la marque ne faisait que continuer à raconter son histoire. C’était audacieux, oui, mais c’était aligné. Et c’est ce qui a rendu la démarche crédible.

Anatomie d’une campagne risquée mais réussie

Une campagne de cette envergure, c’est une pièce d’horlogerie. Chaque détail est pesé, discuté, millimétré. J’ai vu des projets de ce type prendre des mois, voire des années, de préparation. Analysons les rouages de cette opération.

Malgré les polémiques qui ont suivi sa sortie, la campagne de publicité Dream Crazy de Nike avec Colin Kaepernick remporte l'Emmy Award

Le choix du symbole et du timing

Le moment était parfaitement choisi. La campagne a été lancée pour l’anniversaire de leur célèbre slogan, ce qui lui donnait une légitimité historique. Ce n’était plus une pub, c’était un nouveau chapitre de leur histoire. Le contexte social était aussi bouillonnant, les débats sur les injustices étaient vifs. La marque ne les a pas créés ; elle s’y est insérée avec une force incroyable.

Et le choix du porte-parole… c’était le geste le plus fort. Il n’était pas juste un sportif connu. Il était un symbole, un homme qui, selon le message, avait « tout sacrifié » pour ses convictions. En le plaçant au centre, la marque ne célébrait pas qu’un athlète, mais un acte de courage. Le film publicitaire, d’ailleurs, ne montrait pas que lui. On y voyait une mosaïque d’autres sportifs ayant surmonté des épreuves immenses. Ça a permis d’universaliser le message : il ne s’agissait plus d’une seule cause, mais d’une ode au courage face à l’adversité.

En s'associant à Colin Kaepernick, Nike a choisi de mettre les minorités au centre de sa stratégie marketing

Un message puissant et une diffusion maîtrisée

Le message central était résumé dans une phrase devenue culte : « Crois en quelque chose. Même si cela signifie tout sacrifier. » C’est un chef-d’œuvre. La phrase est universelle, elle ne parle pas de politique, mais de conviction et de courage. Des valeurs que la marque a toujours portées.

Pour le lancement, l’orchestration était militaire. D’abord, un simple message sur les réseaux sociaux par l’athlète lui-même. Ça a suffi à mettre le feu aux poudres et à générer des millions en couverture médiatique gratuite avant même la sortie du film. Ensuite, la diffusion du film pendant un événement sportif majeur, en lien direct avec le conflit de l’athlète. C’était une façon de dire : « On n’a pas peur. » Une vraie démonstration de force.

Et en France, ça donnerait quoi ?

Ce qui marche aux États-Unis ne se traduit pas toujours bien ici. J’ai souvent bossé sur des adaptations culturelles, et c’est un point crucial. Une telle campagne aurait eu un écho très différent en France.

La prudence à la française

En France, la tradition est au consensus. Les marques cherchent à plaire au plus grand nombre. Prendre parti, c’est vu comme un risque énorme de se couper d’une partie de sa clientèle. On a une forte méfiance envers ce qui pourrait être perçu comme du « marketing opportuniste ».

Je me souviens d’une grande enseigne de distribution qui avait timidement essayé de s’engager sur un sujet de société. Le retour de bâton a été si violent que la direction a tout annulé en moins de 48 heures. C’est une donnée culturelle : ici, on n’aime pas trop que le commerce se mêle du débat public.

Pourtant, ça ne veut pas dire que c’est impossible. Certaines marques y arrivent très bien. Pensez à ces enseignes de cosmétiques frais qui militent depuis toujours contre les tests sur les animaux ou pour des causes écologiques. Leur engagement fonctionne car il est constant, au cœur de leur modèle économique, et pas juste une campagne ponctuelle. L’authenticité, encore et toujours…

Alors, on se lance ou pas ? Le guide pratique

Cet exemple peut donner des idées, c’est sûr. Mais avant de foncer tête baissée, il faut être extrêmement prudent. Ce n’est pas une stratégie pour les amateurs. Voici les points que j’aborde toujours avec mes clients.

Le mini-audit d’authenticité : êtes-vous légitime ?

La première question, et la plus importante : pourquoi voulez-vous faire ça ? Si la réponse est « pour faire un coup marketing » ou « pour booster les ventes », arrêtez tout. C’est la pire des raisons. Ça doit venir des tripes, des valeurs de l’entreprise.

Voici un petit check-up rapide à faire :

  • Le test de la machine à café : Demandez à 5 employés au hasard quelles sont les valeurs de la boîte. Si vous obtenez 5 réponses différentes (ou un silence gêné), c’est mauvais signe. Vos équipes doivent être vos premiers ambassadeurs.
  • Le sondage incognito : Avant de vous associer à une cause, tâtez le terrain. Posez une question en story Instagram ou à votre liste de diffusion, liée au sujet, mais sans mentionner votre marque. Juste pour voir comment votre communauté réagit.
  • La cohérence interne : Vos pratiques (recrutement, management, politique environnementale) sont-elles en accord avec le message ? Si vous prônez l’égalité mais que votre comité de direction est 100% masculin, ça va se voir…
  • L’engagement sur la durée : Êtes-vous prêt à soutenir cette cause dans un an ? Dans cinq ans ? Un coup d’un soir est toujours perçu comme de l’opportunisme.

Avez-vous les reins assez solides ?

Une campagne engagée réussie coûte cher. Pas seulement en production. Il faut surtout prévoir un budget pour la gestion de crise. Car il y aura une crise.

Bon à savoir : une agence de com’ de crise sérieuse ne vous facturera pas moins de 3 000€ à 10 000€ juste pour être en alerte et préparer un plan. Pour la veille active des réseaux sociaux, les outils professionnels démarrent autour de 100€ à 300€ par mois (comme Talkwalker ou Brand24). C’est le minimum pour ne pas naviguer à l’aveugle. Tenter l’aventure sans cet arsenal, c’est comme partir à la guerre sans casque.

Les pièges à éviter (et les vraies leçons)

Pour chaque réussite spectaculaire, il y a des dizaines d’échecs cuisants. Il faut absolument analyser les ratés pour comprendre les lignes rouges.

Le contre-exemple parfait

On se souvient tous de cette publicité pour une grande marque de soda, où une célébrité de la télé-réalité calmait une manifestation en offrant une canette à un policier. Retirée en 24h, un fiasco total. Pourquoi ça a foiré là où l’autre a réussi ? C’est simple quand on compare.

D’un côté, on a un athlète qui a tout risqué pour ses convictions, un message profond sur le sacrifice, et une démarche parfaitement alignée avec l’ADN de la marque (« Dépasse-toi »). De l’autre, on a une starlette déconnectée des réalités, un message terriblement superficiel qui banalise un vrai problème social, et une démarche qui sonne faux pour une marque de boisson sucrée. L’un transpire l’authenticité et le courage ; l’autre pue l’opportunisme et la naïveté. Voilà toute la différence.

Le petit engagement qui change tout (pour les PME et les solos)

Ok, mais concrètement, si on n’a pas le budget d’un géant mondial ? La solution n’est pas de copier le risque, mais l’authenticité. J’ai vu une boulangerie de quartier faire un buzz incroyable, simplement en décidant de donner tous ses invendus à une association de rue et en le montrant avec une simple photo sur Facebook. Zéro budget, 100% authentique. Leurs clients n’ont pas seulement aimé, ils se sont sentis fiers d’acheter leur pain chez eux.

Petit conseil pour démarrer sans risque : cette semaine, au lieu de parler de vous, utilisez un de vos posts sur les réseaux sociaux pour mettre en lumière une association locale qui partage vos valeurs. Pas un grand discours, juste un coup de projecteur sincère. Observez les réactions. C’est votre premier test, à faible coût et à faible risque.

Attention, terrain miné !

Je dois être très clair : cette stratégie est extrêmement dangereuse. Le retour de bâton est quasi inévitable. La marque de sport a fait face à des appels au boycott, des gens ont brûlé leurs produits en vidéo, et son cours en bourse a chuté temporairement. Il faut être prêt à encaisser le choc.

Pour 99% des entreprises, la meilleure stratégie reste de se concentrer sur l’excellence : un produit irréprochable, un service client aux petits soins et une communication honnête. Parfois, le plus grand courage, c’est de savoir rester à sa place et de bien faire son travail.

la marque, un acteur comme un autre ?

L’affaire de la marque de sport et de l’athlète engagé a marqué un tournant. Elle a prouvé qu’une marque, si elle connaît son public sur le bout des doigts, peut prendre un risque énorme et en sortir plus forte. La leçon, au fond, n’est pas qu’il faut être politique. La leçon, c’est qu’il faut être authentique.

Il faut connaître son histoire, ses valeurs et ses clients avec une profondeur absolue. C’est ce travail de l’ombre, souvent invisible, qui fait toute la différence entre un coup de génie et un désastre industriel. C’est un travail d’artisan, qui demande de la patience, de la précision et, oui, une sacrée dose de courage. Au fond, la vraie stratégie, c’est peut-être simplement d’être profondément et honnêtement soi-même.

Inspirations et idées

Selon le Edelman Trust Barometer, 71% des consommateurs déclarent que s’ils perçoivent qu’une marque place le profit avant les gens, ils perdront leur confiance en elle pour toujours.

Ce chiffre est une boussole. Il montre que le silence ou la neutralité face aux grands enjeux n’est plus une stratégie sûre. C’est désormais perçu comme un choix, celui de ne pas s’impliquer. Pour les nouvelles générations, l’inaction est une prise de position en soi.

Avant de prendre la parole, une mini-checklist interne s’impose :

  • La cause choisie est-elle alignée avec l’histoire et la mission de notre entreprise ?
  • Nos actions (production, management, etc.) sont-elles cohérentes avec ce message ?
  • Sommes-nous prêts à gérer le débat et les critiques de manière constructive ?
  • Nos équipes comprennent-elles et soutiennent-elles cette démarche ?

Comment s’engager quand on est une PME sans budget marketing millionnaire ?

L’impact n’est pas qu’une question d’échelle. Un engagement local et concret a souvent plus de résonance. Soutenir le club sportif du quartier, s’associer à une banque alimentaire locale, ou comme la marque de sacs à dos Faguo, planter un arbre pour chaque produit vendu. Ces actions, ancrées dans le réel, bâtissent une confiance bien plus solide qu’une simple campagne publicitaire.

Le point de départ crucial : l’alignement interne. Avant même de penser à un post Instagram ou à un communiqué de presse, assurez-vous que vos employés sont les premiers informés et convaincus. S’ils découvrent votre engagement en même temps que le public, la démarche sonne faux. Votre culture d’entreprise est votre première campagne.

Approche frontale vs. Approche fédératrice :

Patagonia : Leur combat pour l’environnement est radical mais fédérateur. En attaquant les politiques anti-écologiques, la marque ne divise pas ses clients mais les unit contre un

Le risque du

  • Une connexion émotionnelle plus forte avec vos clients.
  • Une différenciation claire face à des concurrents silencieux.
  • Une attractivité accrue pour les talents qui cherchent du sens.

Le secret ? L’authenticité. Une prise de parole réussie n’est jamais une simple opération marketing, c’est l’expression publique de l’ADN profond de l’entreprise.

Laurine Benoit

Designer d'Intérieur & Consultante en Art de Vivre
Domaines de prédilection : Aménagement intérieur, Éco-conception, Tendances mode
Après des années passées à transformer des espaces de vie, Laurine a développé une approche unique qui marie esthétique et fonctionnalité. Elle puise son inspiration dans ses voyages à travers l'Europe, où elle découvre sans cesse de nouvelles tendances et techniques. Passionnée par les matériaux durables, elle teste personnellement chaque solution qu'elle recommande. Entre deux projets de rénovation, vous la trouverez probablement en train de chiner dans les brocantes ou d'expérimenter de nouvelles palettes de couleurs dans son atelier parisien.