Le Portrait en Noir et Blanc : Le Guide pour des Photos qui Ont de l’Âme
Je me souviens encore de l’odeur des produits chimiques dans ma première chambre noire, à mes tout débuts. J’avais pris une photo de mon grand-père, simplement assis près d’une fenêtre. Franchement, en couleur, la photo était sympa, sans plus. Le papier peint à fleurs derrière lui volait un peu la vedette. Mais quand j’ai vu son visage apparaître lentement sur le papier dans le bain de révélateur… ce fut une claque. Chaque ride racontait une histoire, la lumière sculptait ses traits. Le papier peint ? Il n’existait plus, c’était juste une texture en arrière-plan. Ce jour-là, j’ai compris : le noir et blanc n’enlève rien, il révèle une autre dimension. Il nous force à voir l’essentiel : la lumière, la forme, la texture et, surtout, l’émotion.
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Depuis, même si la couleur reste la norme, chaque fois qu’un client me donne carte blanche pour du noir et blanc, je sais qu’on va créer quelque chose de spécial, d’intemporel. Et attention, il ne s’agit pas juste de cliquer sur un filtre. C’est une vraie démarche qui commence bien avant de toucher l’appareil photo.

Apprendre à voir en nuances de gris
Le plus grand changement, c’est dans votre tête. Il faut arrêter de penser en couleurs et commencer à voir en termes de luminosité. Une couleur qui vous semble vive, comme un rouge pétant, ne sera pas forcément une zone claire sur la photo finale. C’est l’erreur numéro un des débutants.
Au fait, votre appareil photo, même en mode N&B, capture d’abord les infos en couleur (si vous shootez en RAW, et on va y revenir). C’est une chance énorme ! Ça nous permet de choisir précisément comment chaque couleur va se transformer en nuance de gris. Voici quelques repères simples :
- Le rouge : Devient souvent un gris très foncé. Un rouge à lèvres intense peut paraître presque noir, ce qui donne un effet très dramatique. Petit piège : une peau avec des rougeurs peut aussi paraître tachée si on n’y prend pas garde lors de la retouche.
- Le bleu : Se transforme généralement en un gris assez sombre. C’est top pour les paysages, car un ciel bleu devient profond et fait ressortir les nuages. Pour un portrait, des yeux bleus peuvent perdre de leur éclat si la conversion est mal gérée.
- Le vert et le jaune : Se traduisent par des gris moyens à clairs. C’est pour ça que la peau a souvent un rendu si naturel, car elle est pleine de ces tonalités.
Imaginez un portrait de votre amie avec un pull rouge vif devant un ciel bien bleu. En passant en N&B sans réfléchir, tout risque de devenir un gris un peu fade. Mais si vous contrôlez la conversion, vous pouvez rendre le rouge du pull lumineux et le bleu du ciel presque noir, créant un contraste saisissant qui fait ressortir le visage. C’est ça, la magie !

La lumière : votre meilleur outil
Un bon portrait en noir et blanc, c’est 80% de travail à la prise de vue. La retouche ne fait que sublimer ce qui est déjà là. Alors, parlons de votre pinceau principal : la lumière.
Lumière douce ou lumière dure ?
Le choix de la lumière va dicter toute l’ambiance. C’est simple, il y a deux grandes familles :
- La lumière douce : Pensez à un jour nuageux, à l’ombre, ou à la lumière qui passe par une grande fenêtre orientée au nord. Elle crée des ombres légères, aux bords flous. C’est une lumière qui pardonne, idéale pour les portraits de beauté ou d’enfants. Elle lisse les traits et est très flatteuse.
- La lumière dure : C’est la lumière directe du soleil ou d’un spot sans diffuseur. Elle crée des ombres très nettes et très sombres. C’est une lumière de caractère, parfaite pour accentuer la texture des rides sur un visage âgé ou le grain d’une barbe. Mais attention, elle est impitoyable et peut créer des ombres disgracieuses si elle est mal placée.

Des schémas d’éclairage qui fonctionnent à tous les coups
Pas besoin de réinventer la roue. Il existe des schémas d’éclairage classiques qui ont fait leurs preuves. Pour faire simple, imaginez que votre modèle est au centre d’une horloge. Vous, avec votre appareil, êtes à 6h.
- L’éclairage Rembrandt : Placez votre source de lumière principale (un flash ou une fenêtre) vers 4h ou 8h, et un peu plus haute que la tête du modèle. Vous verrez apparaître un petit triangle de lumière sur la joue qui est à l’ombre. C’est classique, ça donne du volume, un petit côté peinture.
- L’éclairage en boucle (Loop) : C’est le plus simple et le plus sûr. Rapprochez un peu la lumière de l’axe de l’appareil. L’ombre du nez forme une petite boucle, mais ne touche pas l’ombre de la joue. Ça flatte quasiment tous les visages.
- L’éclairage divisé (Split) : Très dramatique. Placez la source à 90 degrés (à 3h ou 9h). La lumière coupe le visage en deux : une moitié éclairée, une moitié dans l’ombre. Idéal pour des portraits très forts.
Petit conseil de pro : Pour déboucher les ombres (les rendre moins noires), utilisez un réflecteur du côté opposé à la lumière. Pas besoin de se ruiner ! Un panneau de polystyrène blanc d’un magasin de bricolage fait l’affaire. Ou, encore mieux, investissez dans un réflecteur pliable 5-en-1. Ça se trouve pour environ 20€ sur internet et ça change la vie. Pour commencer, utilisez toujours le côté blanc, il donne une lumière douce et naturelle.

Les réglages à connaître sur le bout des doigts
La technique, c’est ce qui vous permet de concrétiser votre vision. Voici les bases à ne jamais oublier.
- Toujours, toujours, TOUJOURS en RAW : Je ne le dirai jamais assez. Le JPEG compresse et jette des informations. Le RAW, c’est le négatif numérique, il garde tout. C’est ce qui vous donnera une flexibilité maximale pour la conversion en noir et blanc.
- ISO au minimum : Le grain peut être un choix artistique, mais il vaut mieux l’ajouter en post-traitement. Pour un maximum de détails, restez à l’ISO le plus bas de votre appareil (souvent 100 ou 200).
- L’ouverture, la grande question : Pour ce fameux fond flou qu’on aime tant en portrait (le bokeh), ouvrez grand votre objectif (par exemple, f/1.8, f/2.8). Mais attention, la mise au point doit être IM-PEC-CABLE sur l’œil le plus proche. Pour plus de netteté sur tout le visage ou pour inclure un joli décor, fermez un peu plus (vers f/4 ou f/5.6).
- Prévisualisez en N&B : Activez le mode monochrome sur votre appareil. Cherchez dans vos menus une option du genre « Style d’image », « Picture Control » ou « Simulation de film ». Ça n’affectera pas votre fichier RAW, mais ça vous aidera à composer et à juger les contrastes directement sur le terrain.
D’ailleurs, si vous cherchez un objectif pour le portrait, les focales de 50mm ou 85mm sont des valeurs sûres. Elles offrent un rendu très flatteur sans déformer les traits.

Passer à la retouche : révéler le potentiel
Une fois les photos sur l’ordinateur, le vrai fun commence. Oubliez le bouton « Désaturer », qui donne des résultats plats et sans vie.
Le Mélangeur Noir et Blanc : votre arme secrète
Dans des logiciels comme Lightroom, Capture One ou même le gratuit Darktable, vous trouverez un panneau « Mélangeur N&B » (ou un nom similaire) avec des curseurs pour chaque couleur. C’est là que vous prenez le contrôle. En reprenant mon exemple : pour éclaircir la peau de votre amie, vous monterez légèrement les curseurs « Rouge » et « Jaune ». Pour un ciel dramatique, vous baisserez le curseur « Bleu ». C’est en jouant avec ces curseurs que vous donnez du caractère à votre image.
Sculpter avec la lumière (Dodge & Burn)
C’est LA technique qui fait passer une photo de « bien » à « wow ». Ça vient de la chambre noire et ça consiste à éclaircir (dodge/esquive) et assombrir (burn/brûlage) sélectivement certaines zones. Imaginez un visage un peu plat : avec un pinceau de retouche, j’éclaircis subtilement l’arête du nez et le haut des pommettes. Puis j’assombris un peu l’ombre sous les joues. D’un coup, le visage prend du volume, une dimension 3D. Le secret, c’est la subtilité. Si on voit la retouche, c’est que c’est raté.

En cas de pépin : les solutions rapides
- « Mes gris sont tout ternes, boueux. » C’est un manque de contraste. Dans votre logiciel, trouvez les curseurs des « Blancs » et des « Noirs ». Poussez les blancs jusqu’à ce qu’une toute petite zone de l’image devienne blanche pure, et faites pareil avec les noirs. Ça va redonner du peps à l’image.
- « La peau a l’air fausse, comme du plastique. » Vous avez sûrement trop lissé ou trop éclairci. Zoomez et assurez-vous de toujours garder la texture naturelle de la peau. Mieux vaut une petite imperfection qu’un visage de poupée de cire.
- « J’ai perdu tous les détails dans les ombres ! » Si vous avez shooté en RAW, pas de panique, ils sont là. Remontez le curseur des « Ombres ». Mais attention, ça peut faire apparaître du bruit. C’est pour ça qu’une bonne exposition de base est cruciale.
Le mot de la fin : soyez pro et lancez-vous !
La technique, c’est une chose, mais le professionnalisme en est une autre. Ne mettez jamais votre modèle en danger pour une photo. Et surtout, ayez toujours une autorisation de droit à l’image signée si vous comptez utiliser les photos, même pour votre portfolio. C’est une marque de respect et ça vous protège.

Savoir quand faire appel à un pro est aussi important. Pour un portrait qui doit durer, un photographe vous apporte son expertise, sa direction et la garantie d’un résultat de qualité. C’est un investissement dans la tranquillité d’esprit.
Le noir et blanc est un chemin exigeant mais tellement gratifiant. Alors, voici un petit défi pour vous lancer : cette semaine, attrapez votre smartphone, activez le mode photo monochrome. Placez un ami près d’une fenêtre et essayez simplement de capturer une ombre intéressante sur son visage. Pas de pression, l’objectif est juste d’éduquer votre œil. Vous pourriez être surpris par ce que vous allez découvrir.
Galerie d’inspiration





La texture est le langage secret du noir et blanc. Sans la distraction de la couleur, l’œil est attiré par la trame d’un pull en laine, le grain de la peau, la rugosité d’un mur en briques ou la douceur de la soie. Avant de déclencher, demandez-vous : quelle histoire tactile cette image peut-elle raconter ? C’est ce qui donne corps et profondeur au portrait.




- Activez le mode monochrome de votre téléphone pour prévisualiser la scène.
- Appuyez sur l’écran pour faire la mise au point sur le visage, puis ajustez le curseur de luminosité pour dramatiser les ombres.
- Utilisez des applications comme VSCO ou Snapseed pour des réglages fins et des simulations de pellicules argentiques de qualité.




L’accroche du regard : En noir et blanc, les yeux deviennent des puits de lumière ou des abîmes d’ombre. Assurez-vous que la mise au point est absolument parfaite sur l’œil le plus proche de vous. Une simple étincelle de lumière dans la pupille, appelée




Une seule source de lumière suffit souvent à sculpter un visage. Pas besoin d’un studio complet pour débuter. L’astuce est de jouer avec sa position :
- Lumière Rembrandt : Placée sur le côté et légèrement en hauteur, elle crée un petit triangle de lumière sur la joue la moins éclairée. Dramatique et classique.
- Lumière papillon : Positionnée face au sujet et en hauteur, elle dessine une petite ombre en forme de papillon sous le nez. Très glamour.




Photographier directement en N&B ou convertir après ?
La réponse des pros est unanime : shootez toujours en format RAW (qui conserve toutes les informations colorimétriques) et activez l’aperçu noir et blanc de votre boîtier pour visualiser le rendu. Cela vous offre le meilleur des deux mondes : une vision monochrome sur le terrain et une flexibilité maximale en post-production pour ajuster précisément comment chaque couleur se traduit en nuance de gris.




Le High-Key : Des tons majoritairement clairs et blancs, peu d’ombres. Il évoque la douceur, l’optimisme, la pureté.
Le Low-Key : Une ambiance dominée par les ombres et les noirs profonds. Il suggère le mystère, le drame, l’introspection.
Votre choix définira radicalement l’émotion du portrait.





Plus de 95% des photos prises aujourd’hui sont en couleur.
Cette saturation rend le noir et blanc encore plus percutant. Choisir le monochrome, ce n’est pas suivre une tendance, c’est prendre le contre-pied pour créer une image qui se détache du flux incessant et qui vise l’intemporalité. C’est un acte délibéré pour marquer les esprits.




- Des ombres plus douces et progressives.
- Un modelé du visage plus simple et lisible.
- Une ambiance intime et naturelle.
Le secret ? Oubliez les configurations complexes et utilisez une seule source de lumière, comme une grande fenêtre voilée. C’est souvent la solution la plus élégante.




Pour ceux qui veulent pousser la conversion plus loin, la suite logicielle Nik Collection, et plus particulièrement son module Silver Efex Pro, est une référence. Elle permet de contrôler finement le rendu de chaque couleur, d’ajouter du grain argentique réaliste et d’imiter le rendu de papiers photo mythiques.




Conseillez à votre modèle des vêtements qui jouent avec la matière plutôt qu’avec la couleur :
- Un pull en grosse maille pour la texture.
- Une chemise en jean ou en lin pour le grain du tissu.
- De la dentelle ou du velours pour le jeu de lumière.
- Évitez les motifs complexes et très colorés qui peuvent créer des gris confus.




L’erreur à éviter : les




Saviez-vous que Leica commercialise le M11 Monochrom, un appareil photo numérique de pointe dont le capteur est incapable de voir les couleurs ? Il est conçu pour ne capturer que la luminance, offrant une richesse de détails et une netteté inégalées en noir et blanc.





Le grain n’est pas un défaut, c’est un choix esthétique qui fait son grand retour. Il apporte une dimension organique et cinématographique à l’image.
- Grain fin : Évoque l’élégance et la douceur des pellicules à faible sensibilité comme l’Ilford Pan F.
- Grain prononcé : Rappelle le photojournalisme et le côté brut des pellicules poussées comme la Kodak Tri-X 400.




Quel est l’objectif idéal pour le portrait N&B ?
Une focale fixe lumineuse (entre 50mm et 85mm) est le choix roi. Un 85mm f/1.4 ou f/1.8, par exemple, permet de compresser légèrement les perspectives pour un rendu flatteur du visage et d’isoler parfaitement le sujet de l’arrière-plan grâce à un superbe flou (bokeh). La grande ouverture est aussi un atout pour capter la lumière en intérieur.




Focale Fixe (ex: 50mm f/1.8) : Plus légère, plus lumineuse (idéale en basse lumière), et force le photographe à se déplacer pour composer. Le piqué est souvent supérieur.
Objectif Zoom (ex: 24-70mm f/2.8) : Plus polyvalent, permet de changer de cadrage rapidement sans bouger. Plus lourd et souvent moins lumineux à budget égal.
Pour le portrait pur, la focale fixe a souvent la préférence des puristes pour sa qualité d’image et son rendu.




Pensez aux portraits de Peter Lindbergh des super-modèles des années 90.
Son approche était révolutionnaire : il a enlevé l’artifice, le maquillage excessif et les décors sophistiqués pour révéler la personnalité brute, souvent en noir et blanc. Il cherchait




- Le sujet est mis en valeur sans distraction.
- L’émotion du visage devient le point focal absolu.
- L’image gagne en puissance et en intemporalité.
La technique ? Utiliser un fond uni et neutre. Un mur blanc, un drap tendu ou même un ciel gris peuvent être vos meilleurs alliés.




L’espace négatif, c’est-à-dire les zones





Le choix du papier est la touche finale qui sublime un tirage noir et blanc. Quelques pistes :
- Papier baryté (type Ilford Gold Fibre Silk) : Pour des noirs profonds et un rendu proche de l’argentique traditionnel. Le choix du luxe.
- Papier mat (type Hahnemühle Photo Rag) : Pour une finition douce, sans reflets, idéale pour les portraits pleins de textures et de nuances subtiles.
- Papier satiné ou lustré : Un bon compromis, avec un léger brillant qui fait ressortir le contraste.




Ne confondez pas contraste et clarté : Augmenter le contraste affecte globalement les tons clairs et foncés. Augmenter la clarté (ou la micro-texture), en revanche, renforce le contraste des tons moyens, ce qui fait ressortir les détails fins comme le grain de peau ou la fibre d’un vêtement sans




L’œil humain est beaucoup plus sensible aux variations de luminance (la luminosité) qu’aux variations de chrominance (la couleur).
C’est la raison scientifique pour laquelle une photo en noir et blanc bien composée nous paraît si riche et détaillée. Elle parle directement à la partie la plus performante de notre système visuel, en se concentrant sur les formes, les lignes et les textures.




Un accessoire bien choisi peut définir un portrait. Il ne doit pas voler la vedette, mais plutôt enrichir l’histoire du personnage.
- Un chapeau : Pour créer des ombres mystérieuses sur le visage.
- De la fumée (cigarette, vapeur) : Pour ajouter une texture éthérée et du mouvement.
- Des lunettes : Pour jouer avec les reflets et le cadre dans le cadre.




Comment gérer les imperfections de la peau sans perdre le naturel ?
En noir et blanc, le mélangeur de couches est votre meilleur ami. Dans Photoshop ou Lightroom, vous pouvez éclaircir ou assombrir sélectivement les canaux de couleur d’origine. Par exemple, en augmentant la luminosité du canal rouge, vous pouvez atténuer subtilement les rougeurs et petits boutons sans avoir recours à un lissage excessif qui détruirait la texture de la peau.



Finalement, la technique n’est qu’un outil au service d’une intention. Le portrait en noir et blanc le plus réussi est celui où la connexion entre le photographe et le sujet est palpable. C’est un dialogue silencieux où la lumière, l’ombre et le cadre ne sont là que pour traduire une confiance, une fragilité ou une force. C’est là que réside l’âme de l’image.