Fabriquer son Premier Arc en Bois : Le Guide Complet (Sans se Ruiner)
L’odeur de mon atelier, c’est un mélange de bois, de cire d’abeille et d’huile de lin. Franchement, c’est l’odeur du travail bien fait. Depuis des années, je transforme des morceaux de bois brut en arcs qui ont une âme. Pas des arcs de cinéma, mais de vrais arcs fonctionnels, fiables, qui respectent la nature même du bois.
Contenu de la page
- Le Secret d’un Arc Efficace
- Choisir le Bois : L’Âme de Votre Futur Arc
- Les Outils de l’Artisan : Moins, c’est Mieux
- Le Façonnage : De la Bûche à l’Ébauche
- L’Équilibrage (Tiller) : Le Moment de Vérité
- Finitions : Poupées, Corde et Protection
- ATTENTION : Quelques Règles de Sécurité Vitales
- Galerie d’inspiration
J’ai vu passer pas mal de tutoriels en ligne qui simplifient dangereusement les choses. Attention, fabriquer un arc, ce n’est pas juste tailler un bâton et y nouer une ficelle. C’est un véritable dialogue avec le bois, une compréhension de ses forces et de ses faiblesses. Un arc mal fait est une invitation à la blessure. Un bon arc, par contre… c’est un compagnon pour la vie.
Ce que je vous partage ici, c’est la méthode de l’artisan, celle qui marche. Alors, prêt à vous lancer ?
Bon à savoir : une fois le bois sec (on y reviendra), prévoyez entre 20 et 40 heures de travail pour votre premier chef-d’œuvre. Côté budget, si vous êtes un peu malin et que vous chassez les bonnes occasions pour les outils, vous pouvez vous équiper pour environ 150€ à 250€.

Le Secret d’un Arc Efficace
Avant même de toucher un outil, il faut comprendre un principe fondamental. Un arc, c’est un ressort. Il stocke l’énergie que vous déployez en le bandant, puis la libère violemment dans la flèche. Pour que ça marche, les deux branches doivent plier de manière parfaitement harmonieuse.
Imaginez une branche qui se courbe. Le côté extérieur (le dos de l’arc) est en tension, ses fibres s’étirent. Le côté intérieur (le ventre) est en compression, ses fibres sont écrasées. La règle d’or, le mantra du facteur d’arc, c’est : le dos de l’arc est sacré et ne doit JAMAIS être abîmé. Ses fibres doivent rester continues d’une pointe à l’autre. Le moindre coup d’outil qui coupe une fibre crée un point de rupture. C’est la cause de 90% des casses chez les débutants. Le ventre, lui, peut être travaillé sans problème, car le bois encaisse bien mieux la compression que la tension.

Comprendre ça, c’est passer du bricolage à l’artisanat.
Choisir le Bois : L’Âme de Votre Futur Arc
C’est l’étape la plus cruciale. Un bon arc naît d’un bon bois. Oubliez la branche tordue trouvée par terre. Il vous faut un jeune arbre ou un rejet bien droit, ce qu’on appelle un billon.
Les meilleures essences pour débuter :
- Le Noisetier : C’est LE bois idéal pour apprendre. Il est facile à trouver, pardonne quelques erreurs et donne d’excellents résultats.
- Difficulté : Faible
- Performance : Bonne
- Disponibilité : Très courante dans les haies et les bois.
- Le Frêne : Un autre excellent choix. Solide, souple, et ses cernes bien visibles sont un vrai plus pour suivre le grain du bois.
- Difficulté : Faible à moyenne
- Performance : Très bonne
- Disponibilité : Assez courante.
- L’Érable Sycomore : Un bois blanc, très homogène et agréable à travailler avec des outils à main.
- Difficulté : Faible à moyenne
- Performance : Bonne
- Disponibilité : Courante en forêt.
- Une plane de charron : C’est votre outil principal. Elle doit être affûtée comme un rasoir. C’est un investissement.
- Budget : 80-150€ (neuve), mais on en trouve d’excellentes d’occasion pour 40-70€ sur des sites comme Le Bon Coin.
- Un banc d’âne (shaving horse) : Un étau à pédale qui change la vie. Il maintient le bois fermement tout en vous laissant les mains libres. On peut s’en fabriquer un assez facilement (des plans se trouvent partout en ligne).
- Une bonne râpe à bois : Une râpe japonaise type Shinto est un excellent choix. Elle est redoutable d’efficacité pour affiner les formes.
- Budget : Environ 40€.
- Un racloir de menuisier : Une simple lame d’acier bien affûtée. C’est l’outil de finition ultime. Il laisse une surface plus nette que n’importe quel papier de verre.
- Budget : 10-15€.
- Une corde d’arc : Prenez du Dacron B55. C’est stable et sécurisant pour un arc en bois.
- Budget : Environ 10€.
- Fixez une corde d’équilibrage (plus longue que la corde finale) à votre ébauche.
- Posez l’arc sur le support, accrochez la corde au peson.
- Tirez doucement. Observez. Quelle branche plie le plus ? Où sont les zones raides ?
- Marquez au crayon les zones qui ne plient PAS assez. Ce sont les seules que vous toucherez.
- Enlevez quelques copeaux avec le racloir sur les zones marquées. Juste quelques-uns.
- Remettez l’arc sur l’arbre. Tirez un peu plus. Observez. Marquez. Enlevez de la matière.
- Vos YEUX : Portez des lunettes de sécurité. TOUT LE TEMPS. Un copeau dans l’œil, et c’est terminé.
- Outils Tranchants : Une plane est un rasoir géant. Travaillez toujours en poussant l’outil loin de votre corps et de vos jambes.
- Risque de Rupture : Pendant l’équilibrage, l’arc peut casser. Ne vous mettez jamais en face. Tenez-vous sur le côté.
- NE JAMAIS TIRER À VIDE : C’est la règle d’or. Sans une flèche pour absorber l’énergie, toute la puissance retourne dans l’arc, qui explosera littéralement.
- Ceci est une ARME : Un arc bien fait n’est pas un jouet. Il est puissant et peut être létal. Ne tirez jamais vers quelqu’un ou quelque chose que vous ne voulez pas détruire. Renseignez-vous sur la législation locale.
- Une plane pour dégrossir la forme générale.
- Une râpe à bois (type Shinto ou Auriou) pour affiner les courbes.
- Un racloir pour la finition et l’équilibrage.
- Huile de lin ou de tung : Pénètrent en profondeur, nourrissent le bois. Plusieurs couches sont nécessaires.
- Cire d’abeille : Apporte une protection de surface et un beau poli satiné.
- Tru-Oil : Une huile polymérisante très populaire chez les facteurs d’arc pour sa résistance et sa facilité d’application.
- Une poignée confortable et reproductible.
- Une meilleure absorption des vibrations.
- Une signature esthétique personnelle.
- Ne jamais tirer à vide (sans flèche). L’énergie, n’ayant nulle part où aller, est absorbée violemment par les branches et peut les faire exploser.
- Toujours inspecter l’arc avant de tirer, à la recherche de fissures ou de fibres soulevées sur le dos.
- Utiliser une fausse corde (stringer) pour bander et débander l’arc afin de ne pas tordre les branches.
Le Façonnage : De la Bûche à l’Ébauche
Votre bois est enfin sec. Le vrai plaisir commence !
1. Préparer le dos : Prenez votre moitié de billon. Le côté bombé (l’extérieur de l’arbre) sera le dos de l’arc. Votre mission : isoler un seul cerne de croissance sur toute la longueur. Avec la plane, enlevez délicatement l’écorce et les couches de bois supérieures jusqu’à obtenir une surface propre et lisse qui suit une seule et même ligne de croissance. C’est LA garantie anti-casse.
2. Tracer le profil : Retournez le bois. Tracez une ligne centrale, puis dessinez la forme de votre arc. Pour un premier, un design « flatbow » (arc plat) est parfait. Prévoyez une poignée rigide de 10-12 cm, puis des branches d’environ 4 cm de large qui s’affinent progressivement jusqu’à 1,5 cm aux pointes (les poupées).
3. Dégrossir : Sur votre banc d’âne, utilisez la plane pour enlever le bois sur les côtés et le ventre, en suivant vos tracés. Allez-y doucement. Mieux vaut enlever trop peu que trop. Laissez les branches assez épaisses pour l’instant.
L’Équilibrage (Tiller) : Le Moment de Vérité
C’est l’étape la plus délicate, celle qui donne vie à l’arc. Le but est de faire plier les deux branches de manière identique. Une zone qui plie trop (une « charnière ») est un point de rupture ; une zone qui ne plie pas assez reporte le stress ailleurs.
Il vous faut un « arbre d’équilibrage » : une planche solide fixée au mur, avec une poulie en haut, une corde et un peson (balance à ressort). Un petit support en bois fixé au milieu de la planche permettra de poser la poignée de l’arc.
Le processus est un cycle :
Répétez ce cycle des dizaines de fois. C’est un dialogue. Ne soyez jamais pressé. Honnêtement, mes deux premiers arcs ont cassé à cette étape à cause d’un coup de râpe trop généreux. Chaque échec est une leçon ! Continuez jusqu’à obtenir une belle courbe elliptique à la puissance et à l’allonge désirées (par exemple, 40 livres pour 28 pouces d’allonge).
Une « charnière » à éviter, c’est une zone qui plie brusquement comme un coude au lieu de participer à une courbe douce et progressive. Si vous en voyez une se former, arrêtez immédiatement de toucher cette zone !
Finitions : Poupées, Corde et Protection
L’équilibrage est bon ? Bravo ! C’est presque fini.
Les poupées : Ce sont les encoches pour la corde. Ne faites pas une simple entaille qui affaiblit le bois. Sculptez une « poupée à épaulement » : un petit décroché sur le ventre et les côtés qui crée un logement sécurisé pour la boucle de la corde.
La corde : Avec votre corde en Dacron B55, vous devrez faire un « nœud d’archer » d’un côté. C’est un nœud spécifique qui permet d’ajuster la longueur. C’est assez visuel, je vous conseille de chercher une vidéo tutoriel en ligne, c’est le plus simple.
La finition : Votre arc est nu et craint l’humidité. Après un dernier coup de racloir pour une surface parfaite, il faut le nourrir. Un mélange traditionnel et très efficace : 1/3 d’huile de lin, 1/3 d’essence de térébenthine et 1/3 de cire d’abeille fondue. Appliquez au chiffon, laissez pénétrer une heure, essuyez l’excédent. Répétez 3 ou 4 fois sur plusieurs jours.
ATTENTION : Quelques Règles de Sécurité Vitales
Je ne plaisante pas avec ça. La facture d’arc et le tir comportent des risques.
La sensation de tirer une flèche avec un arc que vous avez créé de vos mains est incomparable. C’est une connexion puissante avec un savoir-faire ancestral. Alors, prenez votre temps, soyez méticuleux, et écoutez ce que le bois a à vous dire.
Pour aller plus loin : Si le virus vous a piqué, des communautés comme le forum Webarcherie sont des mines d’or d’informations et de conseils. Pour les outils de qualité, des boutiques en ligne comme Dictum sont des références.
Galerie d’inspiration
Quel bois choisir pour débuter ?
Le noisetier est le meilleur ami du débutant. Il est abondant, facile à trouver et pardonne beaucoup d’erreurs. Le frêne est une excellente seconde option, un peu plus performant mais exigeant un grain plus parfait. L’orme et l’érable sont également de très bons candidats. Gardez l’if, le roi des bois d’arc, pour votre deuxième ou troisième projet ; sa maîtrise est un art en soi.
Le dos d’un arc en if est naturellement parfait : son aubier clair résiste à la tension tandis que son duramen plus foncé encaisse la compression. C’est un arc en deux parties offert par la nature.
L’outil qui change tout : le racloir de menuisier. Moins agressif qu’un rabot ou une plane, cet humble morceau d’acier (un modèle Stanley ou Bahco est un excellent point de départ) permet de retirer de fins copeaux de bois. C’est l’outil de finition par excellence pour obtenir une surface lisse et une courbure parfaite lors de l’équilibrage.
Le secret ? Avec ces trois outils manuels, vous pouvez fabriquer un arc de A à Z. Nul besoin d’un atelier suréquipé pour commencer.
Ne vous laissez pas obséder par la puissance. Un premier arc de 35 à 45 livres (ou
Le banc d’équilibrage (Tillering Stick) : C’est votre instrument de mesure le plus crucial. Une simple planche de bois avec un support pour la poignée et des encoches tous les 2-3 cm. Il vous permet de bander l’arc progressivement, de manière contrôlée, et de vérifier que les deux branches plient de façon absolument identique. Fabriquez-le avant même de toucher au bois de l’arc.
Les arcs longs retrouvés sur l’épave du navire de guerre Mary Rose (1545) avaient des puissances estimées entre 100 et 180 livres. Cela nécessitait des années d’entraînement pour être maîtrisé, dès le plus jeune âge.
Cette puissance phénoménale explique leur capacité à percer les armures de l’époque. Votre arc sera plus modeste, mais il s’inscrit dans cette lignée historique fascinante.
La finition n’est pas qu’esthétique, elle protège le bois de l’humidité. Oubliez les vernis filmogènes qui craquent.
Une corde faite maison ?
Oui, et c’est plus simple qu’il n’y paraît. Avec une bobine de fil Dacron B-55 (idéal pour les arcs en bois car il est légèrement élastique) et un gabarit simple (une planche et quelques clous), vous pouvez tresser une corde
Ressentez le bois. Fermez les yeux et passez vos mains sur les branches. Vous sentez une petite bosse ? Un léger creux ? Votre main est un outil de détection incroyablement sensible. L’équilibrage se fait autant à l’œil qu’au toucher, en cherchant la courbe la plus fluide et harmonieuse possible.
Option A (le puriste) : Pas de repose-flèche. Vous tirez
Le bois doit être sec
Attention au grain : Suivez les fibres du bois ! Si vous coupez à travers les anneaux de croissance sur le dos de l’arc, vous créez un point de rupture garanti. C’est pour cette raison qu’on utilise des outils manuels qui permettent de
Le secret ? Un simple enroulement de cordelette de lin ou une bande de cuir fin. Fixez-le avec une colle souple ou juste par la tension de l’enroulement pour une touche finale élégante et fonctionnelle.
Ötzi, l’homme des glaces découvert dans les Alpes et daté de 3300 av. J.-C., portait avec lui un arc inachevé en bois d’if de 1,82 mètre. La facture d’arc est l’un des artisanats les plus anciens de l’humanité.
Un arc ne se range jamais bandé, même pour une journée. Cela met le bois sous une contrainte permanente qui le fatigue et lui fait perdre sa
Cherchez l’inspiration sur les forums spécialisés comme
Erreur fréquente : se précipiter sur la ponceuse électrique. Cet outil enlève la matière trop vite et vous fait perdre le contact sensoriel avec le bois. Pire, sa chaleur peut fragiliser les fibres en surface. Privilégiez toujours les outils manuels, surtout le racloir, pour la phase cruciale d’équilibrage.
Un bon arc en bois est silencieux. Le son principal devrait être un
Pourquoi le dos de l’arc est-il si sacré ?
Imaginez une tige de métal que vous pliez. La surface extérieure s’étire. Si vous y faites une entaille, c’est là qu’elle cassera. Le dos de l’arc subit la même tension. La moindre fibre de bois coupée par un outil crée un point de faiblesse fatal. Le ventre, lui, est en compression, un stress que le bois gère beaucoup mieux.
La toute première flèche : Ne la tirez pas vers une cible à 20 mètres. Tenez-vous à 5 mètres d’une grande butte de paille. Votre seul but est de sentir l’arc se bander, la corde quitter vos doigts, et la flèche voler. C’est le moment où des heures de travail se transforment en pure magie. Savourez-le.
Où trouver ce fameux bois ? C’est une excellente question. Vous ne pouvez pas simplement aller en forêt avec une scie. Le mieux est de demander l’autorisation à des agriculteurs ou à des propriétaires de parcelles boisées. Souvent, ils sont ravis de se débarrasser d’un jeune noisetier qui gêne. Sinon, pour les plus impatients, on peut trouver des ébauches déjà fendues et séchées (des « doussines ») sur des sites spécialisés. C’est plus cher, mais ça vous fait gagner un an !
Le Séchage : La Vertu de la Patience
Une fois votre billon de 1m80 à 2m trouvé, ne vous jetez pas dessus ! Le bois vert est mou et un arc fait avec perdra toute sa puissance en séchant. Il faut le fendre en deux dans la longueur, puis sceller les extrémités avec de la colle à bois ou de la peinture pour éviter qu’elles ne sèchent trop vite et ne craquent. Stockez-le dans un endroit sec et aéré (un garage, une grange), mais jamais au soleil ou près d’un radiateur. Le séchage… c’est long. Comptez au minimum un an. Oui, un an. La patience est la première qualité du facteur d’arcs.
Les Outils de l’Artisan : Moins, c’est Mieux
Pas besoin d’un atelier de pro. Les plus beaux arcs sont nés d’outils simples. Voici votre liste de courses :